Celui qui marche dans les pas de l’autre ne laisse pas de traces

jamais ce proverbe ne s’est autant révélé exact que dans Blade Runner 2049, où Denis Villeneuve cherche à donner des preuves de filiation à tout bout de champ : les murs en plâtre défoncés comme dans Blade Runner, la prostituée blonde punk de Blade Runner, les reflets de l’eau sur les murs à la Blade Runner, la musique de Vangelis réinterprétée par Hans Zimmer, ou le marchand africain qui vend de la technologie dans la rue : ce fan service est tout simplement insupportable. Comme si la science-fiction, maintenant qu’elle a de l’argent, avait perdu toutes ses idées.


Denis Villeneuve n’aurait pas dû faire Blade Runner. Comment un véritable artiste peut vouloir se lancer à l’assaut d’un chef d’œuvre ? Faire la suite d’un film pareil ? On n’imagine pas Kubrick faire la suite du Faucon Maltais sous prétexte qu’il peut le faire en couleur ! Ou Desplechin refaire Jules et Jim… En se jetant dans ce piège grand ouvert du film-hommage, Villeneuve sombre. Il étale au passage ses faiblesses, déjà entrevues dans Sicario ou Premier Contact, au grand jour. Il n’y a pas de personnages. Il n’y a pas d’émotion. L’intrigue tient sur un une fiche A5 (celle de Blade Runner aussi, d’ailleurs). Mais la force de l’original, c’est un personnage antipathique auquel on tient, parce qu’il est humain. Et on finit par s’attacher aux seconds rôles robotiques (Pris, Batty), parce qu’on découvre peu à peu – question métaphysique du film – c’est qu’il n’y a pas loin d’un humain à un réplicant. Et plus on avance, plus la question se pose avec acuité, jusques et y compris dans le précipice final, la flèche de la cathédrale Blade Runner.


Mais ici, on ne peut pas s’attacher pas à K (Gosling), parce qu’on sait que c’est un robot. Et on ne peut pas s’attacher à un robot, même si on a de la compassion pour lui. Le racisme dont il fait l’objet, ses love story en 3D, tout cela nous touche, mais ça ne va guère plus loin. Jusqu’à une certaine révélation, trop tardive, qui fait décoller l’intérêt pour le personnage.


Et c’est là l’autre problème de Blade Runner 2049, tout est trop long. Dans l’objectif que s’est fixé Villeneuve depuis son chef d’oeuvre Prisoners – revisiter le blockbuster en lui apportant une vision arty –, dont Blade Runner 2049 est l’apex pénible. Sans contrainte, Villeneuve étale sa vision, ses obsessions (images jaunies, femmes dans des sacs plastiques, conditions météo extrêmes) sans se préoccuper de mise en scène efficace. Gageons qu’un director’s cut avec 30 mn en moins améliorerait grandement le film.


Car BR2049 est magnifique bien sûr, mais ces images somptueuses ne sont rien d’autre que la mise en image d’un fabuleux story board, le sens inné du cadrage de Villeneuve et la photographie de son compagnon de toujours, le génie Roger Deakins. Tout est extraordinairement beau, cadré au cordeau, référencé (Apocalypse Now, le Sacrifice de Tarkovski, Kubrick, etc.) Mais contrairement à ce que professait ce dernier (qui n’a pas fait, à la revoyure, des films si parfaitement esthétiques), Villeneuve a du mal à incarner une idée. Il enchaîne les beaux plans, les uns après les autres, mais ne cherche pas à raconter quelque chose. Contrairement à un Nolan, dont on n’aime pas tout ici, mais qui se rapproche beaucoup d’un cinéaste, c’est à dire quelqu’un qui utilise l’art spécifique du cinéma pour produire un effet.


Ici, c’est comme si Villeneuve illustrait Blade Runner. Et, malédiction éternelle, devenait, comme son illustre prédécesseur, un cinéaste décorateur.


cinefast

ludovico
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le 18 oct. 2017

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ludovico

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