— Avant tout, sachez que même si je m’attendais à ne pas retrouver le feeling du 1er opus, étant (à l'époque) un grand fan des films de Denis Villeneuve, je pensais trouver tout de même un excellent film comme ce gars sait en faire. « Prisoners » impeccable avec quelques scènes mémorables. « Siccario » excellent. « Arrival » très bon (depuis j'ai réalisé qu'ils souffrent du mal moderne: la lenteur de style). Mais il faut toujours examiner, comme disait le philosophe Alain et éviter de se laisser berner par une forme soignée, car combien de films de ces dernières années sont de superbes coquilles vides? Comme "The Revenant" de Iñarritu par exemple, on en reparle plus loin.


Bon, maintenant...

Comme je l’avais pressenti avant de le voir, je pense que ce film ne supportera pas l’épreuve du temps. Dans un an, personne n’en parlera. [Note de juin 2022, où en est-il? Quelqu'un en parle, à part pour les aspects techniques indéniables?]

Vous vous souvenez de « The Revenant » de Iñarritu? Non? Normal. Après avoir aligné de sublimes films comme «21 Grams», «Babel» ou «Birdman», il nous pond le film le plus prétentieux et inutile qui soit. Ici, ce film va rester comme de l’excellence visuelle mais totalement désincarnée avec en fond un message anti-humain.
La première chose qui saute aux yeux et que c’est très beau mais, mais, mais… que ça pèse 3000 tonnes. A trop temporiser, il en devient plombé jusqu’à la moëlle. Horrible. Tout est lent: le montage, les dialogues, le jeu des comédiens. Rien ne ressort, tout est englué dans la mélasse. Lenteur de style.
Même les rares scènes d’action sont mal rendues, complètement désamorcées par une volonté de ne pas faire de l’action. Bravo, c’est réussi: on s’emmerde même quand ça bouge.

— Attention: j’adore quand un film prends son temps, mais tout matériau demande son rythme. Prenez le très bon «No Country For Old Men»: tempo lent mais quand ça claque, ça claque pour de bon. Même quand les scènes tournent au ralenti, la tension est palpable. Chaque plan est habité. Le dosage est maîtrisé à la perfection.


Les enjeux de l’histoire? Il y en a deux (spoilers plus bas) mais mouaif baf, prrrffff, rien à foutre. Ils se passe ça? Ha ok. Bon. C’est tout? Merci au revoir.
L’histoire reprend quelques éléments-clés du premier en les retournant un poil pour ne pas que ça fasse copié-collé mais ça ne marche pas. C’est soit de l’hommage-pompage, de la fainéantise, du manque d’inspiration, un manque de prise de risques ou un peu de tout. La musique reprends le style de celle, sublime, de Vangelis mais en plus bruyant et plus dissonnant.

Ce film est "designé" plus que réalisé. C’est froid et lisse. Là où le 1er à utilisé le talent de Syd Mead (designer industriel) pour concevoir un univers futuriste mais fonctionnel, ici tout semble peu plausible, désincarné, propret. Les scènes de rue nocturnes semblent bien vides et dépeuplées par rapport à l’original où la foison de détails qui remplissent l’image stimulent et rendent cet univers tellement vrai.

Le pire est que tout est bien éclairé joli mignon. La lumière est douce et fignolée. Terminé le style film noir du 1er. Un max de scènes extérieures se passent le jour et voilà un des signes distinctifs du 1er qui vole en éclat, où tout est nuit, brouillard et pluie.

Fashion casting. Les comédiens sont jeunes et beaux, sans vraie gueule (à part Dave Bautista qu’on voit 3 minutes). Seul Harrison Ford sort du lot, comme dans l’infâme «Star Wars VII». Ce qui démontre que cette génération et ce calibre d’acteurs ont infiniment plus de densité que les jeunets actuels. Ryan Gosling est bon mais semble tellement léger dans cet univers. Les actrices sont de jolies cocottes qui ressemblent à celles qui s'exhibent sur Instagram. Comparé au style de Sean Young, une brune qui a une classe féminine indéniable, elles ne pèsent rien. Jared Leto incarne un mega-big boss aveugle mais n’a aucune carrure et semble avoir 30 ans. Pas crédible pour un sou. Robin Wright s’en sort pas mal mais est très mal servie par des dialogues faiblards.
Dès le début du film, on nous présente le personnage principal (Gosling) comme étant un Réplicant qui partage son appartement avec une femme holographique. Franchement, qu’est-ce qu’on n’en a à battre? Un humain artificiel et un hologramme? Sérieux? Le reste des personnages ne sont guère mieux.
C’est le 1er film de Villeneuve que je n’aime pas du tout. [Note de juin 2022: j'ai revu "Premier contact", et bien ça vieillit très très mal.] On dirait que lui et son pote Deakins (directeur photo), à force de vouloir faire différent finissent par ne rien faire du tout. Il dit avoir un énorme respect pour le 1er mais n’en n’a pas retiré l’essence, ou croyait le faire mais l’a noyé dans son style qui fonctionne dans ses autres réalisations mais pas ici.

Le 1er «Blade Runner» est une histoire viscérale de survie qui va créer dans les derniers instants d’un être artificiel, une étincelle d’humanité qui rayonne sur tout le film. Ici on a tricoté, un peu comme les réçents désastres «Promotheus» et «Alien Covenant», une histoire dont on se fout éperdument, dont on ne sent pas l’importance autour d’un univers préexistant dont on n’a pas su remplir d’une histoire qui en vaille la peine. Un univers qui n’est qu’un prétexte pour faire un film, se faire plaisir et encaisser les thunes. Un film dont l’ampleur des moyens ont détruit la rage urgente de l’original qui lui donnent son réalisme. Donc, merde.


Ce qui fait la magie du 1er «Blade Runner» est que l’univers est unique et se tient:
— Extérieurs: il fait toujours nuit, sauf lors d’une seule scène où un soleil crépusculaire traduit une ville surpolluée, et il pleut toujours. La ville est grouillante monde de toutes ethnies, les gadgets technologies sont réellement novateurs (voir la scène quand Deckard explore l’intérieur d’une photographie).
— Intérieurs: ils sont tous enbrumés, contrastés, éclairés par des sources locales (un peu comme dans «Se7en», tiens pendant que j’y pense, David Fincher aurait été parfait pour cette suite). Les décors sont remplis d’anachronismes: l’architecture néo-classique se noie dans le fouillis technologique qui s’est accumulé par dessus, la technologie moderne se mélange avec l’ancien. Les bibelots sur le piano dans l’appartement de Deckard, les photos anciennes dans les cadres ovales qui contrastent violemment avec les reste, curieusement donnent au film son atmosphère unique.
Ce choix visuel novateur à l’époque pour un film de SF donne un sens à la réalité que le film décrit, lui donne sa personnalité.
En ne respectant pas ces codes — libre à leurs auteurs mais il faut assumer les conséquences — «Blade Runner 2049» se coupe de ce qui rend le 1er fascinant. En montrant des extérieurs de jour avec un éclairage doux et diffus, des intérieurs idem, on n’est clairement plus dans le même univers.
Rajoutez à ça l’histoire qui ne tient à pas grand-chose, une enquête au rythme de la série «Derrick» dont on peine à sentir l’importance des enjeux, et vous avez une belle grosse daube qui survit uniquement grâce au status culte du 1er film et aà son soin visuel.
Une belle grosse daube qui survit grâce à l’aura du 1er film
COMPARAISON >>> Dans le 1er «Blade Runner», on découvre qu’un être artificiel qui croyait être humain et est bouleversé de l’apprendre. Un autre, au seuil de sa vie volontairement réduite à 4 ans, sauve celle d’un humain (ou le croit-on qu’il l’est) car il découvre en étant témoin de sa mort imminente un des sentiments les plus purs de l’humanité: la compassion. Message sublime qui nous dit que même un être artificiel peut manifester des réflexes humains, comme pour nous dire que l’humanité peut apparaître là où on ne l’attend pas. Comment ne pas être touché par ce message? Bien.

SPOILERS >>> Dans « Blade Runner 2049 » on suit un humain artificiel qui s’est amourraché d’une femme-hologramme qui finit par être déconnectée (en disant « Je t’aime » juste avant, hahaha, mais pour qui ils nous prennent ces couillons?), qui apprend qu’il n’est pas la personne spéciale qu’il croyait être et qui meurt à la fin. Dans une scène techniquement très bonne, on voit la compagne virtuelle du personnage principal qui est un être artificiel embaucher une prostituée pour être sa doublure physique afin qu'ils puissent connaître l'amour charnel.
En somme, un homme manufacturé et un hologramme font l'amour par l'intermédiare d'une prostituée. Et on doit être sensible à ce genre de situation? C’est profondément inhumain. On découvre qu’il existe hors de la grande ville une horde de Réplicants style Mad Max qui élabore une rébellion, mais qui ne pèse rien dans le scénario pour découvrir à la fin que des Réplicants peuvent avoir des enfants et qu’ils pourraient être « plus humains que les humains ». Pourquoi? On ne sait pas.
Moi je dis NON. Cela ne fonctionne pas. Ce qui fonctionne c’est le tiroir-caisse de ces imbéciles qui nous balancent ces merdes à la figure et qu’on paie pour voir. Même de la part d’un talentueux cinéaste comme Villeneuve!
Ce film adopte le point de vue d’un être fabriqué, manufacturé, construit par la force de la volonté et des nécessités économiques (des esclaves pour coloniser les mondes extérieurs). Ce film veut nous dire que l’humain est voué à être remplacé par des êtres artificiels qui lui seraient supérieurs, et que c’est très bien comme ça. What? Message subliminal: la technologie est l’avenir, elle est meilleure que vous, vous n’êtes rien, laissez-vous mourir. Ce que certains nomment du satanisme, car niant les valeur humaines.

Ridley Scott est un serial killer qui massacre sa progéniture, un démon qui pourrit l’âme humaine avec des messages sataniques. Voir les messages sous-jaçents des récents Alien.
Encore une possibilité gâchée de créer une œuvre importante dans le monde de la SF. Encore un film mythique de la SF détruit par les enjeux et l’ego de son créateur autrefois génial et aujourd’hui décrépi. Ridley Scott, producteur exécutif de ce bidule, qui n’en finit pas de tuer sa progéniture, après Alien, tel un vieillard qui traîne sa patte dans les couloirs d’un mourroir déserté en espérant retrouver l’étincelle de ses débuts. Mais qu’il cesse le massacre bordel!

Avis que j’ai rédigé avant de voir ce truc:
J’ai peur que le «fashion casting» de Blade Runner 2049 ait été pensé plus en termes d’image publique que de concordance avec leur personnages:
Des jeunes acteurs doués à la mode (Gosling très bon mais un peu léger ici et Leto toujours dans des rôles en bordure mais qui est en réalité est un comédien très politiquement correct) et des jolies cocottes parfaites pour les paillettes.
A l’image de la cinématographie très lisse et proprette, certes sublime de Roger Deakins, ce Blade Runner est un pur produit de notre temps et ne durera jamais aussi longtemps que son prédécesseur.
— Comparez avec le casting de l’original, ça a plus de gueule, plus de personnalité, c’est plus racé. A l’époque il a explosé les codes, ce que la version de Villeneuve (sans nier qu’il est des meilleurs cinéastes en activité) ne fait pas: elle pousse au maximum les compétences et les codes actuels mais je ne vois rien qui soit réellement nouveau.
L’original est resté dans l’histoire car il a pris des risques et c’est ça qui fait la différence.

EddyJuillerat
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le 4 févr. 2023

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Eddy Juillerat

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