L'offensive du contemplatif : quelles évolutions pour le cinéma en 2018?

Recontextualisation du contemplatif dans le cinéma de ces dernières années


Une fois n'est pas coutume, l'année 2017 fut chargée en blockbusters sous stéroïdes ; scènes d'actions full-numériques, pyrotechnies à go-go, colorimétrie 3000%. Bref, le numérique est plus que jamais, exploité et sur-exploité. Devenant indigeste et toxique pour nombres de camarades se formant une culture cinématographique, j'en viens à observer un phénomène de rejet et de réorientation d'un public se proclamant de plus en plus avisé, envers ce cinéma qualifié parfois d'invasif. Averti et doué, seront apparemment ceux qui auront l'incroyable faculté de percevoir du génie dans les Mother !, A Ghost story, Neon Demon, Dunkirk et autres Blade Runner, plutôt que de l'ennui. Tels sont les commentaires qu'il est possible d'extirper de ce débat.
Oui, j'ai observé cette grande guerre qui prend forme entre les partisans du blockbuster d'aujourd'hui et ceux, du contemplatif, qui semble de plus en plus s'imposer.


Je profite alors de ce visionnage tardif de Blade Runner 2049 pour mettre en lumière ce phénomène intéressant qui, à mon sens, s'est profondément accentué en 2017. Ce que je qualifie de contemplatif, c'est ce style bien particulier consistant à troquer scènes d'actions numériques omnicolores et mouvementées par une mise en scène plus épurée, concise, mystique, parfois même onirique, picturale et anagogique - du moins cela en est l'intention. La question que je me pose donc est la suivante: l'avènement de ce cinéma de style, serait-ce une simple stratégie d'anticipation et de différenciation adoptée par quelques cinéastes obnubilés par les oscars et les dollars ou cela découlerait-il d'une véritable pâte artistique purement personnelle ? Ce style de mise en scène ne serait-ce pas une manière distinctive et préméditée de se construire une identité forte ?
A défaut de ne pas pouvoir répondre à ces interrogations, je me contenterai de me positionner sur ce film ainsi que sur l'avènement de ce phénomène qu'est le contemplatif.


Ma pénible adhésion à l'univers particulier et légendaire de Blade Runner


Blade Runner, premier du nom, je n'y avais jamais adhéré, car plus touché à l'époque par le cinéma de Spielberg que je considérais plus fantasmagorique. Ceci étant très probablement dû à la configuration caractéristique de ses films consistant à mettre au centre de l'aventure, l'enfant. Blade Runner, quant à lui est une adhésion longue et pénible où j'ai dû attendre de bien nombreuses années avant de l'apprécier.


Très clairement je me suis acharné pour adhérer à l'univers dark, cyber-punk et mystique de l’œuvre, bien qu'il n'y ait eu aucun problème pour savourer l'autre succès canonique de Ridley Scott, Alien. Quand bien même j'ai pu être habitué à ce genre d'univers décomplexé dystopique tel que Total Recall, je jugeais l'adaptation de R.Scott trop noire, trop sombre visuellement, trop contemplative alors que moi, je demandais de l'action. Aaah on arrive à la fameuse opposition !


Blade Runner 2049: alternative du cinéma grand-public ?


Cependant, face à la sur-dose d'actions et de numériques dans les blockbusters, j'en viens à demander aujourd'hui (ou à regarder par défaut ?) un contenu plus édulcoré, plus épuré. Tiens, Blade Runner 2049 tombe à pique ! Ce dernier est qui plus est, réalisé par un cinéaste et un chef opérateur auxquels je voue une admiration particulière. Notez bien, Denis Villeneuve et Roger Deakins. Je détaille le travail bien mérité de ces messieurs dans la critique suivante: https://www.senscritique.com/film/Sicario/critique/139890118.


Blade Runner 2049 est cette nouvelle proposition de cinéma grand public qui privilégie le plan fixe et le plan séquence à la mise en scène mouvementée et virevoltante - parfois trop virevoltante - des autres blockbusters. Un cinéma sélectif qui choisi des teintes bicolores relativement sombres pour construire une atmosphère particulière, plutôt que de baigner ses plans dans une palette de couleurs éclatantes et flamboyantes. Avant même de parler d'esthétisme et de construction identitaire, en fait c'est avant tout tellement reposant que de voir une telle œuvre se retrouvant au milieu de ce tas de bouillies numériques [vous savez, ces *Transformers, Spider-Man, Valerian, et cie.].


Ce que je trouve prodigieux dans l’œuvre c'est également cette capacité à réaliser une suite légitime, conservationniste de l'atmosphère séduisante du premier film. Blade Runner 2049, c'est comme un de mes rêves étranges que j'ai pu avoir, ceux dans lesquels je parviens à m'inventer une société entière, ceux dans lesquels je m'imagine incompris des étranges figurants qui m'entoure. Au réveil, tu te sens bizarre, tu sens que tu as fait ce rêve étrange, mais c'est poignant ! Persuadé que c'était réel, tu viens même à t'interroger sur l'origine de ces rêves : sont-ils issus de souvenirs alternatifs ? Mais ne serais-je pas un replicant ? [Ok, d'accord cette critique part en vrille].


Synchronisation entre le réel et la fiction [réussie]


En réalité, mes pensées, mes rêves, visent à pointer du doigt la principale force de l’œuvre, celle de créer une énigme, du mystère et des possibilités illimitées d'interprétations, de métaphores et de théories qui peuvent s'étendre même au-delà du long-métrage. On parle souvent de cette synchronisation entre humains et androïdes dans l'univers de Blade Runner, mais à mon sens, l'oeuvre permet en plus de faire cette synchronisation entre spectateur et personnages fictifs.


Pour illustrer mes propos, je fais référence à cette scène, que je juge la plus réussie, dans laquelle on y voit K (Ryan Gosling) face à cet hologramme géant, déambulant devant lui. En plus de la qualité visuelle époilante, il sera aisé pour n'importe qui de se faire prendre au piège psychologiquement et émotionnellement par la gigantesque entité numérique.
Soudain, c'est la peur qui te submerges, telle une violente vague en embuscade. Vertigo en plein facies, me disant que la fiction pourrait bien se synchroniser à la réalité tant l'anticipation formulée par D.Villeneuve est pertinente. Et quand une histoire de Science-Fiction parvient à recréer cette peur, c'est qu'elle est indéniablement réussie (ou en partie du moins).


Les atouts et les inconvénients du contemplatif. Quelle utilisation pour l'année 2018 ?


Pour en revenir au style particulier et prolifique de l’œuvre, eh bien le contemplatif se retrouve être à la fois un atout et un inconvénient. Certaines scènes semblent être trop étirées, handicapant de fait, le rythme de l'enquête entrepris par le protagoniste. Par ailleurs, ce style, bien qu'il permet de faire découvrir astucieusement l'univers sombre et vertigineux de cette Californie dystopique et futuriste, il a toutefois pour défaut de survoler le back-story fort intriguant de l’œuvre. Comment l'Homme en est arrivé-là ? Comment s'organise les classes sociales ? Quelles sont les pensées et idéologies des populations de cette époque ? Qui sont les grands puissants à la tête de ces sociétés déchues ? Le contemplatif empêche l'existence de discours et de polémiques propres aux enjeux de ces sociétés fictives; des discours passionnants dans la science-fiction, prenez Soleil Vert à titre d'exemple. Ce n'est pas le propos principal du film, me diront des puristes ? Peut-être, mais c'est intrigant et quitte à faire des suites, mieux vaut en révéler plus sur le monde alternatif (ou futuriste) de Blade Runner non ?


Le contemplatif est donc a exploité, mais avec modération, sans être pour autant un instrument de substitution à l'action. J'ai personnellement trouvé un équilibre assez intéressant dans La Planète des singes : suprématie en 2017. Pour l'année 2018, j'espère tout de même que le style ne se démocratisera pas au point de devenir une norme de mauvais goût.

Jordan_Michael
7
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le 16 janv. 2018

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