Ce visage d'ange baigné par le soleil, ces yeux de poupée où affleurent des larmes de joie, ce sourire immense tourné vers le ciel, au beau milieu des mouchoirs blancs qui s'agitent dans l'arène... Rien que pour cette scène fabuleuse dans laquelle explose la beauté de Macarena Garcia, il faut voir Blancanieves.


Quand je pense que j'ai failli ne jamais voir ce chef d'oeuvre. Sur le papier, un film muet en noir et blanc, qui revisite le conte de Blanche-Neige sur fond de corrida, honnêtement, ça ne me disait rien qui vaille... (Heureusement que parfois, nous sommes plus malins que nos préjugés.)


Je l'ai donc vu il y a 4 ans - et l'ai adoré - et revu hier soir et, adoré encore plus, je crois que j'en suis presque à la vénération là, franchement... Dès le début, que voulez-vous, c'est le ravissement absolu : ce noir et blanc qui laisse éclater le folklore espagnol du début de siècle, l'arène-monde qui se détache sous le ciel sans nuages, la guitare sèche, les claquettes, la mère sublime danseuse de flamenco, le père star de la corrida, c'est peut-être cliché mais bon sang comme c'est beau ! Montage et mise en scène œuvrent brillamment de concert pour nous plonger dans un bain pittoresque réjouissant.


Pablo Berger n'oublie cependant pas le conte des Frères Grimm qui constitue le fil rouge de son intrigue tragique.


Ainsi, suite à une accident de corrida, le père se retrouve paralysé, tandis que Carmen, sa femme tant aimée meurt en donnant naissance à leur fille. Apparaît alors la future marâtre, Encarna, l'infirmière vénale et machiavélique, qui peaufine son plan pour mettre le grappin sur le veuf éploré.


La petite Carmencita grandit dans l'amour inconditionnel de sa grand-mère, quêtant sans cesse du regard ce père éternellement absent qui semble vivre reclus sous l'emprise de son acariâtre nouvelle épouse. Cette dernière constitue l'élément perturbateur du conte, celle par qui le drame s'amplifie et perdure, en raison d'une jalousie totalement irrationnelle.


Il y a le mélange de plusieurs contes, dans ce film, qui ne se limite pas à Blanche-Neige : ainsi, Carmencita, qui vit désormais chez son père et Encarna, est-elle chargée par sa marâtre d'effectuer les corvées - elle est alors Cendrillon. Le jour de son arrivée, elle lui interdit l'accès à l'étage (et donc à son père), ce qui rappelle à la fois Barbe Bleue et La Belle et la Bête.


La proximité de l'enfant avec les animaux - et notamment son coq Pépé - est un détail classique des contes, une convention du merveilleux qui veut que les bonnes âmes soient naturellement respectées et aimées par les bêtes. (nous en aurons une nouvelle preuve spectaculaire un peu plus tard dans le film)


L'intrigue se penche de près sur la relation père-fille, qui est au coeur de la problématique de Carmencita dès le début : c'est son regard, son admiration, sa fierté à lui qu'elle cherche, et le film est en fait un long cheminement psychanalytique (et cathartique) pour prendre le relais, accepter son héritage, croire en soi...Ce moment où ses souvenirs affluent à toute vitesse, où elle regagne en quelques minutes son identité, son histoire, sa filiation, dans une succession d'images vertigineuse - qui s'arrête sur les yeux du père débordant d'amour pour sa fille...
Ahlala, je ne suis que guimauve, je n'y peux rien.


Ce film est brillant car il est merveilleusement monté et bénéficie d'une photographie exceptionnelle, tout en s'accompagnant d'une bande originale qui reflète à chaque fois parfaitement les états d'âme, les soubresauts du cœur, enrobe la montée de tension, le suspense et l'action - même pas besoin de paroles, les images et la musique sont assez puissantes pour tout exprimer.


Et puis, bon, vais-je dire quelques mots de la BEAUTE des femmes de ce film ? Bien sûr, Macarena Garcia est magnifique, mais sa mère et sa belle-mère... La splendeur ibérique à son apogée ! J'avais gardé un intense souvenir de ce moment où Encarna se rend dans l'arène à la fin pour assister à l'heure de gloire de son ennemie jurée : ce voile noir sur le visage, ces yeux et cette bouche fardés de femme fatale, cette tenue de duègne sexy - elle incarne une méchante très charismatique. Le travail sur les costumes doit être absolument relevé et salué, car ils participent de l'esthétique léchée et glamour de ce film magique.


La singularité de ce film, c'est aussi son traitement scénaristique des 7 nains, cette troupe de saltimbanques ambulants qui vont se lier d'amitié avec la jeune femme. Il s'agit là bien sûr des adjuvants du conte classique, mais ils en sont également la caution burlesque et humoristique qui, par instants, se mue grâce à leur cocasserie, en véritable farce.


Je n'avais aucun souvenir de la fin, mais je dois dire qu'elle donne à l'oeuvre un accent à la fois sordide et romantique (il faut le faire !) très réussi. Pablo Berger n'a pas voulu verser dans la clôture traditionnelle du conte, ne voulait pas se vautrer dans la facilité du miracle qui arrange tout le monde. Le dénouement qu'il offre est à l'image de tout le film : inattendu, somptueux, mélancolique et d'une poésie renversante.


Chef d'oeuvre total.

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le 21 sept. 2017

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