Dog eats dog eats dog eats dog eats dog eats...

Lorsque Jean-Michel Basquiat, à la fin des années 70, laissait ses petites phrases signées SAMO© (Same Old Shit...) sur les murs de Soho, il y avait clairement là une démarche artistique, politique et poétique qui le plaçait d'emblée davantage dans la lignée des grands artistes du XXème siècle que dans celle du vandalisme.

Lorsque des artistes comme Keith Haring, Futura 2000, Seen ou John"Crash"Matos, recouvraient les murs de leurs fresques dans les années 80, ils inventaient clairement un art nouveau, des formes artistiques nouvelles et des modes d'expressions inédits bien que millénaires (les peintures rupestres de la préhistoire...) et bravant l'interdit.
Ils composaient l'art le plus révolutionnaire et florissant de la fin du XXème siècle.

Aujourd'hui, graffeurs et taggeurs ne font que répéter à l'envie les modes opératoires de leurs pères fondateurs et de leurs grands frères, comme de parfaits faussaires, dans le meilleur des cas, ou le plus souvent comme de simples vandales qui marquent leur territoire comme des chiens pisseraient sur des réverbères.
Il suffit de regarder autour de nous dans nos villes et sur nos routes pour constater l'appauvrissement formel de cet art et l'essorage intellectuel que lui a fait subir le passage au nouveau siècle.

La majeure partie des graffeurs d'aujourd'hui ne font que reproduire consciencieusement les typographies de Crash ou Seen et les fresques de 2012 ressemblent à s'y méprendre à celle de 1982.
Quand aux tags, ils alimentent les guerres de gangs et polluent notre champs visuel davantage qu'ils ne l'éclairent...
Il ne restent guère que quelques valeureux artistes aux USA ou en France pour tenter de renouveler le genre et il faut bien souvent parcourir le globe pour trouver un nouveau souffle artistique à l'art du graffiti et à l'expression murale...
Pour info, dans sa série Les Nouveaux explorateurs, Canal+ diffuse régulièrement des docs de Julien"Seth"Malland - "Globe Painter" - entièrement consacrés au Street art qui montrent sa vigueur dans le monde, sa nature contestataire dans les pays opprimés et sa force d'expression intacte, notamment dans les pays les plus pauvres...

Je vous épargnerais de m'attarder davantage sur l'histoire de ces arts, mais il convient d'évoquer ces questions avant d'aborder sérieusement Bomb the system d'Adam Bhala Lough (2002) car elles sont justement au cœur même du film.

En effet, à travers cette histoire très Scorsesienne de destins en forme de cercles vicieux, d'esprit de bande et de transmissions familiales, le réalisateur évoque clairement en filigrane cet appauvrissement culturel véhiculé par le monde du graf, mais surtout ses connections dangereuses avec la délinquance, la corruption (par la télévision, les galeries d'art ou les trafics divers...) et les guerres de gang.

Ce qui était un mode d'expression iconoclaste, certes illégal mais pacifique, est devenu le vecteur ou l'expression des pires travers de nos sociétés occidentales contemporaines.
C'est dans ce constat (assez subtilement établi) que le film trouve, en effet, une de ses plus grandes forces en se coltinant de manière très frontale cette déliquescence d'un mode artistique autant qu'à la disparition d'un discours esthétique ou polémique.
Et s'il n'évite pas certains manichéismes, une approche un peu caricaturale et même une certaine naïveté parfois, ce qui transparaît clairement de ce premier long métrage est une vraie connaissance de son sujet, une vraie honnêteté intellectuelle et un évident désenchantement pour quelqu'un qui a sans doute grandi à l'ombre de ces maîtres d'un mouvement dynamique et novateur et qui ne peut que se désoler des déviances actuelles du système.

Au point qu'on ne sait plus très bien de quel système il est question dans le titre...
Le système étant celui imposé par les états et Le grand Capital, mais aussi le système lui aussi corrompu jusqu'à la moelle de l'autorité (policière, fraternelle...), celui des trafics (de drogue, notamment...), des dérives sectaires ou tout simplement d'un art libre et neuf qui a fini par périr en devenant lui même systématique dans ses formes autant que dans l'inscription des artistes eux-mêmes dans d'autres systèmes (ceux des galeristes, du trafic, des répétitions formelles des anciens sans aucun apport artistique novateur, etc...).

La seule porte de sortie se trouvant du coté de l'éducation, notamment artistique, par les projets d'études artistiques de Blest, le personnage principal du film.

A moins que - une fois n'est pas coutume dans ce milieu quasi-exclusivement masculin et macho du street art - l'on se tourne vers les filles, seules à sembler encore chercher un sens politique et poétique dans l'art des rues par un système de pochoirs et de collages qui interpellent les passants (retour aux fondements du graffiti...) et par une tentative - par l'art - de révolution des esprits pour lutter contre la lobotomie généralisée...

Mais hélas, elles incarnent peu l'espoir car elle ne sont pas entendues et le film garde tout du long sa tournure dramatique.
Il accorde un regard juste sur l'avenir (et sans doute, en 2002, pense-t'il au renouveau qu'apportent des artistes comme Banksy en Angleterre...) mais on sent bien que - à l'image de son maitre évident, Scorsese - la rédemption est sans doute possible mais le salut peu probable.

Une approche que certains trouveront pessimiste, voir même fataliste, mais qui me parait personnellement simplement lucide.

Et le film a dans tous les cas le vrai mérite de traiter de front un sujet pour le moins singulier, ce qui inspire un vrai respect...
On passe alors aisément sur les innombrables défauts de débutant de ce qui reste un premier film, visiblement fauché et tourné grâce à l'énergie d'une vraie bande, de l'enthousiasme des acteurs tous impeccables (sauf les flics, mal écrits, caricaturaux et mal joués).
Mention spéciale à Mark Webber, magnifique !
On ferme les yeux sur les incontestables faiblesses d'écriture du scénario et notamment sur l'aspect familial et policier du film qui semble avoir déjà été vu mille fois, en mieux...

Mais la mise en scène est soignée et prometteuse (Adam Bhala Lough a réalisé 3 films depuis, il serait intéressant de les voir...), malgré l'usage et l'abus du ralenti...
la photographie est très belle, dotée d'un beau grain cinéma et de couleurs éclatantes auxquelles le transfert DVD ne rend malheureusement pas hommage... En effet, la pixellisation, le flou et l'écho permanent de l'image sont absolument indignes du support DVD et je ne félicite pas l'éditeur Emilya qui nous avait habitué à mieux mais qui livre là une de ses pires galettes, semblant avoir été directement rippé d'un support numérique de piètre qualité.
Or il suffit de voir des images du film pour vérifier que la faute n'en revient pas au film original mais bien, soit au master qui a été utilisé, soit à un transfert inepte...
Et les sous-titres sont tout aussi approximatifs, traduisant assez partiellement les dialogues, parfois apparaissant et disparaissant comme des images subliminales illisibles et aussi, de temps en temps, désynchronisés ou ne traduisant pas du tout certaines répliques.

Bref, ça sent le fond de tiroir et c'est bien dommage, car ce film, vieux de dix ans, méritait clairement d'être exhumé et redécouvert... Il aurait été souhaitable que ce soit avec davantage d'égards et de respect... Car il le vaut bien...
Foxart
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le 12 août 2014

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