Georgia
7.3
Georgia

Film de Arthur Penn (1981)

J'ai revu ce soir Georgia (Four friends), d'Arthur Penn.
J'avais découvert ce film, à 15 ans, dans le cinoche d'Art & essai de mon petit bled de province, puis par la suite au vidéo-club de mon quartier, je l'avais loué en VHS et dans une version française imposée par l'époque. Je lui avais immédiatement voué un véritable culte. J'ai loué la cassette tant de fois que j'en ai usé la bande.
Je pense qu'à l'époque je devais y projeter tous mes rêves d'adolescent fantasque et être simplement bouleversé par le récit, la merveilleuse histoire de ces loosers magnifiques.
Et puis, quand le vidéo-club a vendu une partie de son stock, j'ai racheté pour trois sous la K7 et étrangement, je ne l'ai plus visionné pendant près de 25 ans.


Jusqu'à ce soir et, le moins qu'on puisse dire est que cet immense film m'a bouleversé comme au premier jour.
Il s'était étrangement effacé de ma mémoire avec toutes ces années et j'ai eu le sentiment de le redécouvrir comme vierge.
Et il m'a remué autant qu'il l'avait fait autrefois.


Évidemment j'ai aujourd'hui plus de 40 balais, à peu près l'age qu'ont les personnages à la fin du film et ma lecture n'en est forcément plus la même qu'alors...
J'ai pourtant senti, comme je n'avais plus senti depuis longtemps, l'adolescent qui vivait encore en moi - pas complètement mort, en tous cas - et j'ai senti l'adulte, aussi, avec la moitié de sa vie derrière lui et le regard ému et bienveillant porté sur cet adolescent que j'étais, que je suis sans doute toujours et que serais peut-être encore un peu dans 20 ans, qui sait... quand le vieil homme que je deviendrais y verra l'adolescent et l'homme qu'il fut et qu'il est sans doute encore... au moins un peu...
Peut-être faudrait il d'ailleurs que, quand je serais devenu un vieillard, pour boucler la boucle, on me projette ce film une dernière fois sur mon lit de mort...


Enfin... trêve de considération métaphysicomachin de mes couilles !
Ce que j'ai surtout vu ce soir et que je n'avais sans doute pas repéré à l'époque (tout au mieux l'avais-je intuitivement ressenti) c'est du très très grand cinéma.
J'ai vu la manière dont Arthur Penn dépeint si subtilement la vie de ces quatre amis (cinq en réalité...) avec en filigrane le portrait lucide et émouvant d'une Amérique qui se cherche, de son Histoire, de ses richesses et de sa culpabilité, de ses guerres, ses immigrants, ses évolutions et révolutions, des failles de son (ses) système(s), des espoirs déçus de ses peuples,etc...


Mais Georgia n'est pas Forest Gump, c'est même exactement le contraire - Dieu merci - et Arthur Penn ne filme jamais ses protagonistes comme des "guest stars" de l'histoire, il ne les invite jamais à des caméos de luxe avec de quelconques figures où événements emblématiques de l'Amérique. Non, Penn filme avec empathie de vrais personnages, à hauteur d'homme, avec juste ce qu'il faut de romanesque et de lyrisme pour nous emporter dans cette tournoyante saga mais en avortant systématiquement toute tentative de mélodrame (exception faite de la scène finale des adieux aux parents, libératrice et bouleversante) de manière souvent brutale, parfois comique, en coupant chaque fois l'herbe sous le pied de l'émotion avec une vraie pudeur et une grande intelligence.


Il montre surtout un talent inouï à raconter en quelques plans ou quelques minutes, ce qui prendrait un film entier à un autre cinéaste. Chaque scène devenant alors comme un film en lui même, indépendant et autonome, qui semble vouloir déborder du film lui même, où le récit s'enrichit de nouveaux personnages à chaque instant pour les faire disparaître avec la même émotion que si l'on venait de suivre leur histoire pendant une heure.
La scène de la défonce de Georgia dans un loft style "Factory" warholienne, par exemple, raconte plus de choses en cinq plans que certains films entiers...
Un film bouillonnant semblant chaque fois vouloir sortir du cadre, en déborder, en dire plus et plus encore, pour en devenir comme illimité et au final véritablement inépuisable, la marque des grands films...


Et puis j'ai redécouvert un acteur aujourd'hui totalement oublié, injustement sous employé, qui eut à l'époque sa petite heure de gloire (Body Double, Le Fantôme de Milburn, Freddy 3...) et qui montre ici l'étendue de son talent.
Cet acteur s'appelle Craig Wasson et il est absolument exceptionnel dans ce rôle de petit immigré yougoslave fils d'ouvrier, dévoré par son impossible histoire d'amour avec la fantasque Georgia et ballotté par la vie comme une coquille de noix, se heurtant chaque fois à cette Georgia qui resurgit tel un fantôme, furtive, insaisissable... Mais si terriblement aimable !
Car Four friends n'est pas seulement un portrait de l'Amérique, ni uniquement une histoire d'amitié, c'est avant tout une bouleversante histoire d'amour.


Et c'est aussi un peu l'histoire de ma vie...
Et je suis mort deux fois, ce soir...
Jusqu'à la prochaine fois...
Dans 20 ans ? 40 ans ?

Foxart
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le 8 août 2014

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Foxart

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