Deuxième long-métrage du réalisateur iranien Ali Abbasi, Gräns a remporté le prix Un certain regard de la 71eme édition du festival de Cannes.
Nous suivons le quotidien de Tina, femme atypique sur de nombreux aspects. On découvre tout d’abord son quotidien entre son emploi en tant que garde-frontière, ses visites auprès de son père malade et sa relation particulièrement détachée avec son compagnon.
La première partie de l’œuvre est pour la moins déroutante. Plongé dans un univers réaliste et optant pour une approche très premier degré, autant sur les sujets abordés que le ton employé, le comportement et la caractérisation de Tina ne cessent de créer un décalage. Ce sentiment sera décuplé lors de l’apparition d’un alter-ego s’immisçant dans sa vie. Il faudra attendre la révélation de milieu de bobine pour trouver une cohérence à ces choix, artistes et scénaristiques.
L’œuvre est d’ailleurs montée de manière à créer une déroute constante poussant le spectateur à remettre en question la construction même du récit. Les deux intrigues sont déroulées parallèlement, mais créent au départ un déséquilibre. En effet, la relation entre Tina et Vore occupe la majeure partie du temps, poussant à s'interroger sur l'utilité de l'enquête sur un réseau pédophile.
Tous ces ressentis deviennent caduques lorsque l’ensemble du tableau est révélé. Une fois ce moment clé atteint, Ali Abbasi développe sans retenu l’ensemble de ses sujets. Il insuffle une épaisseur non-négligeable à ses personnages et son univers, évitant un manichéisme qui semblait pointer en première partie.
On est happé par ce récit original. L’auteur réussi à incorporer un folklore scandinave au sein d’un univers réaliste tout en questionnant notre société actuelle. Tout cela sans que l'approche paraisse artificielle ou improbable.
Ainsi, des sujets tels qu’une vie alternative en communion avec la nature, notre attitude envers les individus dits hors-norme ou l’adoption, s’intègrent au sein d’un récit exigeant envers le spectateur. En effet, l’auteur se jouant de nous dans un premier temps, il pousse le public à se questionner sur toutes ces zones d’ombre, à formuler ses propres théories.
Outre l’intelligence du scénario, un point essentiel pour rendre crédible une telle histoire est la performance des acteurs. À ce niveau, Eva Melander crève littéralement l’écran avec une partition difficile à maîtriser qui aurait pu sombrer dans le ridicule si elle n’avait pas cette capacité à nuancer son jeu. Le reste du casting est à la hauteur pour rendre les interactions avec Tina le plus juste possible.
Gräns est une réelle curiosité, une œuvre sombre et poétique, un jeu de dupes entre le réalisateur et le spectateur, un film qui reste dans les esprits une fois le générique de fin arrivé. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit sacré par Benicio Del Toro et son jury.