Alors voilà donc ce fameux film qui fait chavirer les adolescents de 7 à 77 ans (...euh ?). Culte pour beaucoup de personnes très respectables, plutôt dispensable selon quelques autres (moins respectables il est vrai), ça faisait longtemps que je rêvais de pouvoir en juger sur pièce. A vrai dire mon envie de voir ce film n'avait fait que s’accroître depuis la première fois que j'en avais entendu parler. Autant le dire tout de suite, après visionnage le constat est évident : ce film me hantera sûrement tout le reste de ma vie. J'aurai des réminiscences de certaines scènes, de certains dialogues comme c'est le cas avec tous mes films préférés, pourtant a priori généralement très éloignés de l'univers de John Hughes. J'insiste sur le a priori car ils sont nombreux les adeptes de peloches bien barrés a kiffer tout autant les œuvres de Hughes. Peut être qu'on ne peut être réceptif à l’esthétique du frisson de l'horreur, de la cruauté du monde et du désespoir de la vie qu'en conservant pur son cœur d'adolescent... En l’occurrence ce n'est pas un choc filmique a proprement parler que j'ai ressenti devant "The Breakfast Club", ce ne sont pas mes sens qui ont été en ébullition, ce ne sont pas les portes de ma perception qui ont été défoncé à grands coups de pied de cameras, par ce film. C'est juste qu'il a réveillé des émotions que je croyais mortes, il s'est immiscé en moi et a fait vibrer l'adolescent en dedans qui n'est toujours pas claqué. Alleluia.
Ce qui m’amène à cette affirmation : "The Breakfast Club" c'est culturellement aussi important que "Daria", que "Black Hole", que les Shirelles chantant "Will you love me tomorrow", ou que "The end of the World" par Skeeter Davis, ou que "I've told every little star" ou que l'intégral des Shangri-Las ou que n'importe quoi de Jonathan Richman. Ou même que des choses plus conscientes comme "My generation", "Teenage kicks" ou "Young till I die". Le point commun c'est l’expression de toute la nuance des sentiments juvénile de la façon la plus pure et la plus spontanée. Je regretterai presque de ne pas l'avoir vu quand j’étais moi même lycéen, ma vie en eut été changée à n'en point douter. De là à dire que j'ai un peu raté mon adolescence parce que je ne l'ai pas vu avant d'en finir avec le bahut... Ça serait peut être un peu fort, mais j'avoue que ça m'a traverser l'esprit. Faut dire aussi que LE teen movie de référence de ma génération c’était "American Pie"... Quoiqu'il en soit le film m'a tellement touché que j'ai l’impérieux besoin d'en parler ! L'avantage des années 2010 sur les 1980's c'est qu'on est pas obligé d'être coller pour faire part de ses états d'âmes à des inconnus.

Ça commence comme ça : vous vous retrouvez face à cinq lycéens forts différents et bien stéréotypés, comme ils peuvent l'être aux USA, retenus en colle tout un samedi. Ils se retrouvent vite menés par John Bender, le rebelle grande gueule que l'on a parfois bien envie de tarter quand même et qui veut faire le mur le plus vite possible. Il y a aussi Claire la petite bourge pimbêche, que l'on a bien souvent envie de tarter (ou d'embrasser, c'est selon), Brian le nerdy un peu suce-boule que l'on a quelque fois envie de tarter aussi et Andy le sportif écervelé de service que l'on a de toute façon envie de tarter parce que c'est le sportif écervelé de service. Et, bien sûr, Allison la freak zarbi, limite autiste, que l'on a envie, au moindre de ses gestes, de... prendre dans ses bras.
Vous suivez donc les mésaventures de tout ce beau monde d'un œil amusé en épiant l'attitude du personnage auquel vous ressembliez le plus quand vous étiez vous même un potache. Pendant ce temps, à l’écran, leurs personnalités se dévoilent peu à peu, vous ne le voyez pas vraiment arriver mais vous commencer alors à vous retrouver piégé par le film. D'abord il y a l'amusante scène de course-poursuite dans les couloirs, puis cette scène de fumette où la sensibilité de chacun se dévoile de manière irrémédiable. Puis ça y est vous êtes fait, le piège se referme définitivement sur vous et vous ne pouvez plus vous en sortir. Vous voilà atteint en plein cœur, même si vous ne le sentez pas encore tout à fait, vous approchez du noyau, de la substantifique moelle thématique du film et celui-ci tiens vos émotions en laisse... Vous voilà arrivé devant la scène la plus importante du film. Celle qui vous arrache aussi bien les larmes que des rires compulsifs sans que vous ne sachiez très bien pourquoi. Là, vous entendez quelques répliques qui vont vous marquer au fer rouge de toute leur cruelle vérité, genre « when you grow up your heart dies » ou « don't compare yourself to me, you've got everything and I've got shit ! » ou « and I see me and I don't like what I see » ou « we're all pretty bizarre some of us are just better at hiding it » ou « you're a tease, all girls are teases ». Là, les personnages inquiets se demandent, tout comme vous, ce qu'il adviendra de cette amitié momentanément partagée quand la vie du bahut aura reprit son cours normal et qu'il faudra à nouveau supporter la pression de leur groupes sociaux respectif. Là où les personnages enfin, et surtout, expriment le vrai fond de leurs problèmes : les parent, la peur de devenir aussi con qu'eux. Les adultes, plus largement, et leurs expectations parfois improbables, toujours contraignantes, envers des gosses qui n'en demandent pas tant, qui ne font que ce qu'ils peuvent pour survivre dans l'absurdité du Monde qui commence à peine à leur sauter aux yeux et à laquelle ils ne sont pas encore habitué.
Je ne pense pas que le cinéma soit, et encore moins qu'il doit être, 24 fois la vérité par seconde mais là, tout de même, on est face à un degré d'authenticité rarement vu sur un écran. Cela doit beaucoup au jeu des acteurs qui prouvent que le talent n'attend pas le nombre des années, enfin... quelque chose comme ça quoi.
Là la question est : comment diable un adulte a-t-il pu retranscrire avec tant de clarté toute l’ambiguïté du mal-être adolescent ? Si vous tiquez sur le contre-sens apparent de cette phrase c'est que vous ne comprenez pas que je suis en train de dire qu'il a réussi quelque chose de presque impossible. En d'autres termes John Hughes > Françoise Dolto. Parce que le fait est que c'est un putain de vrai film psychologique déguisé en teen movie, plus qu'autre chose. Un peu comme "Rebel Without A Cause" a dû l'être en son temps.
La première scène du film, celle où les parents amènent leurs rejetons au bahut pour y purger leur peine, nous montre tout ce qui sera développé par la suite. En quelques dialogues, voire même sans le moindre dialogue dans les deux cas les plus intéressants, les problématiques de chacun des cinq membres du breakfast club à venir sont pointées du doigt. Pendant le reste du film les masques ne tomberont que quand il s'agira d'évoquer les relations avec les géniteurs. Qui se plaignant de subir trop de pression, qui trop d’indifférence, qui trop de clash frontal, chacun va exprimer son ressentiment vis à vis de ses parents. Points de repère principaux de ce monde adulte dans lequel tout ado s'engage autant qu'il s'y confronte. Trop de pression pousse Andy à se soumettre à la volonté paternelle, à agir en fonction de son père quitte à se confronter à des dilemmes moraux et ainsi nourrir des remords. Cette pression parentale conduit, dans le cas de Brian, à une grande intolérance à l’échec au point de songer au suicide pour une simple mauvaise note. Et dans les deux cas, on note une certaine absence de personnalité. A l'inverse l’indifférence totale des parents d'Allison envers leur fille conduit cette dernière à faire tout pour se faire oublier, à s'enfermer dans son propre monde et à envisager de partir loin, sans savoir ni où ni quand. Quant à la violence des parents de Bender, cela le pousse nécessairement à rechercher le conflit à la moindre occasion et à défier l'autorité sans la moindre crainte. Il est aussi intéressant de bien regarder la seule figure récurrente de l'adulte dans le film : le principal Vernon, qui brille par son ridicule et par la fatuité de son autorité qu'il cherche plus que tout à préserver, au moins en apparence. De ce point de vue le concierge, qui n'a manifestement pas atteint ses rêves de jeunesse (devenir John Lennon), reste le plus cool parce que bienveillant envers nos amis les djeunz.
Le film n’épargne cependant pas le déterminisme social dans son ensemble. Car ce club des cinq va aller au delà de toutes les brimades, de tous les flirtouillages, de tous les conflits larvés qu'ils entretiennent entre eux au début, comme une sorte de réflexe primaire ne servant au final qu'à couvrir une parole qui leur est sans cesse refuser en tant qu'adolescents et qui va, dans le contexte de l'intrigue, se libérer. C'est ce qu'exprime le fameux message de la fin (et du début...). Dans cette situation de huis clot, donc, ils nouent en une seule journée une relation plus profonde qu'ils n'en ont sans doute jamais eu avec leurs amis usuels. Et le film nous dit à quel point il est difficile, surtout à cet âge, de prendre le risque de déplaire à son entourage. Car ce n'est pas l'âge où l'on se sent seul, c'est l'âge où l'on prend vraiment conscience de la solitude et qu'elle nous attendra toute notre vie.
Claire avoue détester devoir agir en fonction de ce que ses amis pensent. Dans le même temps ne pas avoir d'amis, comme Allison, s’apparentent à une certaine forme d’aliénation. On peut aller jusqu'à trouver, sous-jacent, un certain discours social plus large, il serait même presque trop facile d'en faire une lecture marxiste. Claire et Andy sont nettement les plus soumis à la pression de leurs groupes d'amis, alors même qu'ils représentent le haut de la hiérarchie. Andy en tant qu’athlète c'est l'archétype du mâle dominant, tandis que Claire symbolise la bourgeoisie inconsciente de sa propre vanité. De leur coté les losers, eux, font preuve d'un réel affect, d'un sens réel de l'amitié. Brian et Allison en avouant qu'ils se foutent d’apparaître en présence de qui que ce soit et Bender en étant le seul à prendre ouvertement la défense de ses potes. Le film cerne ici, encore une fois en peu de dialogues, les différentes facettes de l'amitié. Soit l'on se retrouve avec ceux qui nous ressemblent par facilité plus qu'autre chose, afin de ne pas avoir à penser par soi même et en même temps pour le prestige que cela peut apporter. Un leurre d'amitié, puisque toute évolution individuelle est proscrite insidieusement. Tout écart de conduite ferait voler en éclat ce semblant d'amitié. Un univers social régie par une inter-connaissance forte car nécessaire pour tirer son épingle d'un jeu de relations essentiellement stratégiques. Soit, de l'autre coté, on se lie avec d'autres par nécessité, parce qu'on appartient aux plus faibles et que quitte à être à l'écart autant faire face à ça à plusieurs. Être seul serait s'exposer à trop de dangers. Le breakfast club qui vient de se former sous nos yeux dépasse ces deux approches. Venant d'univers différents les caractères se retrouve en face d'une véritable altérité. Ce qui reste la meilleure manière d'apprendre vraiment sur soi-même.
En gros c'est l'histoire de gamins qui se sont rendu compte que si les moules existent bel et bien, personne n'est fait pour un seul, qu'il est impossible de sentir à l'aise dedans nonobstant l'illusion du libre-arbitre et que quelques soit leur style vestimentaire, quelques soit leur comportement en société, ils sont fait de la même matière et qu'à ce titre ils méritent chacun un égal respect. Celui de leur unicité. Car c'est la seule chose qui nous rassemble.

Bon j'extrapole peut être un peu, OK. Mais bon, et alors ? Paraît qu'on projette toujours beaucoup de nos propres attentes sur les œuvres qui nous sont chères, qu'on y retire surtout ce que l'on a bien voulu y trouver, que l'on s'arrange entre ce que l'auteur essaye de dire et ce que l'on a eu envie d'y entendre et que c'est pour cette raison qu'elles nous sont si chères, justement. Cela est particulièrement vrai pour "The Breakfast Club". Le film semble même avoir été conçu pour ça. Nul doute que si vous ne vous identifiez à aucun des cinq protagonistes vous vous ennuierez, car vous ne verrez qu'amourettes et jérémiades d'une bande de kids in america. Peut être que, oui, au final ce film n'est rien d'autre qu'un appel un peu bébéte à l'union entre les jeunes du monde entier (sauf les noirs, les latinos, les moches, les gros et les homos). Mais si on veut y voir plus, rien que parce qu'un seul de ces personnages nous correspond, je ne vois pas ce qui nous en empêche. Et oui, les personnages ne dépassent pas vraiment les clichés, oui les dialogues restent assez simplistes. Mais si vous vous arrêtez à ça c'est que vous n'avez pas compris que l'expression adolescentes est précisément clichée et simpliste. Et c'est en cela qu'elle est belle (ouais ouais... vous avez lu Rimbaud, et après ?). Pour ma part j'avais prévu de faire toute une partie détaillant mieux chacun d'entre eux, ou seulement celui que je préfère, mais ça m'aurait obliger à raconter ma vie et je suis trop pudique pour ça... Je n'avais jamais cru qu'un film puisse faire figurer un personnage qui me soit à ce point semblable... Vous voyez le genre ?

Bref. Nos moutons (noirs ?) : après ce passage d'une rare intensité vient la fameuse scène de danse - sur l'ignoble "We are not alone" de Karla DeVito, 80's à en crever - si bien foutue que non seulement vous vous en tamponnez le coquillard, tout d'un coup, que ce morceau soit complètement nase mais que vous vous dites surtout que tout ça est vraiment trop cool et que vous devenez envieux parce que les mecs à l’écran sont désormais devenus les meilleurs amis du monde. Puis, enfin, le happy ending de rigueur arrive. Une fin qui reste assez équivoque tout de même. Certes les couples sont formés, l'amitié semble scellée par la lettre laissé au dirlo. Mais chaque personnage repart de son coté. Tout ça au son de la petite boursouflure des Simple Minds appelant à ne pas oublier. Ce qui n'est pas tout à fait pareille que d'appeler à se souvenir. Le fait que ce climax ressemble fortement à la scène d'ouverture a quelque chose d’intrigant. Pourquoi faire comme si on bouclait la boucle alors que les personnages viennent de vivre un moment censé les avoir changé pour toujours ? Peut être est ce une manière pour John Hughes de dire avec le daron dans "American Beauty" : "j'aimerais pouvoir lui dire que ça va s'arranger mais je ne veux pas lui mentir".

Bon, maintenant comme vous avez été sages et avez lu mes foutaises jusqu'au bout je vais vous révéler le truc le plus important que j'ai appris. Les années lycées servent au moins à une chose : savoir de quel personnage de "The Breakfast Club" on est le plus proche.
MeRz
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le 21 juin 2013

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