Véritable plaidoyer pour l'humanité, « Breathless » distribue les scènes chocs comme Sang-Hoon distribue les claques dans la tronche. Ici nous est conté la trajectoire d'un homme violent, qui vécu dans la haine la plus totale de son père alcoolique, indirectement responsable de la mort de sa sœur et de sa mère.

Au départ présenté comme une bête - certes un peu drôle car en total décalage avec le reste de la population (il faut voir comment il traite son neveu, ses employés ou même son love interest)-, le mec fait rapidement la connaissance d'une lycéenne, forte tête, elle-même victime d'un père taré et d'un frère violent qui lui mènent la vie dure depuis la mort de sa mère. La rencontre avec cette lycéenne (formidable casting d'une actrice qui ne fait à aucun moment « jeune idol déguisée en « yellow trash », pour faire arty ») qui jamais ne se tait malgré les menaces et autres coups encaissés, changera peu à peu le comportement de Sang-Hoon, l'aidant à trouver une douceur et un repos qui lui étaient jusqu'alors inconnus. Le puzzle du film finira par mettre tous les personnages en relation, dans un drame haletant et nauséeux, entrecoupé de scènes pudiquement magnifiques.

La société que dépeint le réalisateur – et acteur principal – Yang Ik June est une société pessimiste, noyée dans la violence : familiale déjà, tous les pères sont d'atroces alcooliques, absorbés par leur peine et incapables de sortir de « la spirale de la sévérité », restes d'une éducation « à l'ancienne » j'ose imaginer. Les mères elles, sont toutes des saintes (la seconde sœur de Sang Hoon), des victimes (les mères des deux protagonistes principaux) et surtout des mortes (idem). Violence présente également dans l'environnement de l'école et du travail, on remarque dans les brèves scènes au lycée la sévérité des enseignants sans visage, qui ont pour seul attribut une grosse règle bien droite, et la propension à un formatage des personnalités par une hiérarchie étouffante, que l'on retrouve même dans le domaine de travail quelque peu « insolite » de Sang-Hoon, qui lorsqu'il est en charge de la formation de deux recrues s'évertue à leur faire rentrer la méthode aussi bien par les cris que par les coups. La vie de l'homme coréen est pour le réalisateur entre deux carcans qui broient les âmes, les évènements d'un passé sévère et oppressif d'un côté, et le besoin de rentrer dans un moule précis, de l'autre.
Sang-Hoon en est d'ailleurs le meilleur exemple, piégé par sa colère depuis son enfance et entretenu dans la violence par son travail, il est maintenant en âge de se venger, et tape allègrement sur son père qui n'ose rien dire, à la fois terrifié et se sentant encore coupable de la mort de ses proches malgré sa peine de 22ans de prison tirée. L'image est glaçante, (encore plus j'imagine pour la Corée où le respect des plus vieux est un élément social très codifié) les coups ont réellement l'air frappés (les coréens sont doués pour ça). La communication n'existe plus, le fils est devenu le père, et intimide le petit vieux redevenu enfant honteux et apeuré, pourtant tout n'est pas si simple, et Sang Hoon est bien loin du personnage sans cœur que l'on pourrait imaginer au premier abord, et lui-même apprendra à la dure à accepter ce qu'il s'est passé, et ce qu'il ressent.

La réalisation est tout ce qu'il y a de coréenne, c'est-à-dire sans concession. C'est fou, y a que les coréens qui sont capables de montrer de la violence à la fois cru et aucunement gore, tout est d'une cruauté sans nom, mais également d'une pudeur sans égale. La violence n'est jamais « cool » dans Breathless, ni même sensationnelle (dans les dents Gaspar), elle sert juste à dépeindre un environnement et le personnage que l'on suit. Pudeur que l'on retrouvera aussi dans les scènes poignantes (la plus belle scène de larme qu'il m'ait été donné de voir, sans aucun texte) mais aussi dans les rares scènes du film où le personnage trouve le repos. Le décalage entre humour et drame, inhérent au style des cinéastes coréens, frappe ici de plein fouet, certaines scènes sont hilarantes d'absurdité, et peuvent passer dans le sérieux en un éclair, pour revenir au final vers la comédie.

Grande réussite, ce drame sorti peu après (en France) « Precious » renvoie ce dernier au vestiaire. Si la réalisation a tout ce qu'il y a de plus classique, l'intrigue et les personnages évitent tous les écueils qui pourraient guetter ce genre. Le film fait pleurer sans chercher à faire pleurer, et rire dans les moments les plus perturbants, dans la grande lignée des derniers grands films coréens.
Rom
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le 16 juin 2010

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