Monologue intérieur, flash-back, voix off, zoom, entrecroisement des récits, … : David Lean gère les techniques modernes de narration et les imbriquent parfaitement dans ce film réaliste, comme pouvait l'être Flaubert, le peintre de la médiocrité.


Mais ici, guère de regard ironique, de moquerie sourde du narrateur ou plutôt du réalisateur; plutôt une empathie indéfectible non seulement pour le mari tendre et compréhensif bien que sentimentalement trompé mais surtout pour Laura, cette amoureuse éperdue qu'il ne juge jamais, emportée qu'elle est pendant un bref instant de sa vie dans les tourments infinis de la passion. Car évidemment ce film tourne autour du thème de la passion. Mais pas celle ridicule des mauvais films à l'affiche au cinéma qui font rire les personnages. Plutôt celle intense et noble des tragédies, aux sentiments exacerbés jusqu'aux limites, comme l'illustre Laura qui passe symboliquement d'un bord à un autre: de celui de l'amour (près de céder à la consommation de l'adultère) à celui de la mort (prête à se jeter sur les quais) - la référence à la falaise au bord de laquelle elle avoue se sentir va évidemment dans ce sens. Passion enivrante, jusqu'à l'oubli de soi (et de sa famille) et le flirt avec la liberté, mais aussi passion destructrice et frustrée car ne pouvant pas être satisfaite en raison de la morale, du qu'en-dira-t-on représenté par les nombreuses commères. D'où la métaphore des trains que chacun emprunte et qui vont dans des sens opposés.


Certaines scènes se distinguent par leur intelligente beauté: bien sûr ce zoom progressif sur la bouche intarissable; cette main sur l'épaule que l'on revoit à la fin et dont on saisit alors toute la richesse émotionnelle qu'elle contient ; ou encore dans la scène finale, cette caméra qui oblique lorsque le train d'Alec. Néanmoins cette relation nous semble bien unilatérale, l'homme trop secret pour être cru, le personnage de Laura bien ingénue pour que cela soit une vraie passion. Même si D. Lean se montre indulgent envers elle, il en fait une Emma Bovary en puissance, en proie aux affres de l'amour, se rapprochant dangereusement du bord de la folie, évoluant trop seule dans son rêve d’éphémère infini voulant fuir à l'interminable monotonie du durable, héroïne romantique et éminemment pathétique. Ce qui gâche un peu tout.

Marlon_B
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le 22 mars 2020

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