Septième long-métrage de la seule lauréate de la Palme d’Or (en 1993 pour La Leçon de piano), Bright Star marque le retour de la néo-zélandaise Jane Campion après une interruption de six ans (In the Cut, récit d’initiation sexuelle et criminelle, date en effet de 2003). La réalisatrice de Holy Smoke nous plonge une fois encore dans le dix-neuvième siècle pour nous raconter les dernières années du poète londonien romantique John Keats, qui mourut en Italie à l’'âge de vingt-cinq ans, persuadé d'’avoir échoué alors que la postérité allait faire de ce chantre de la nature sauvage comme espace de liberté et de pureté une des figures de proue emblématiques du romantisme anglais.

Autrement qu’'un banal biopic, Bright Star se resserre sur l'’étrange et longue histoire d'’amour que le poète entretint avec Fanny Brawne, jeune fille de dix-huit ans, cultivée, goûtant aussi bien aux mots d'’esprit qu'’aux travaux de couture. Le film donne à voir l’'évolution toute en fluidité, au gré des saisons, d'’une relation commencée sur le ton de la futilité et du badinage, puis poursuivie de manière plus grave et tragique lorsque Fanny Brawne découvre la beauté de la poésie de son bien-aimé et ne parvient pas à convaincre sa mère de consentir aux fiançailles.

Bright Star nous replace dans le contexte d'’une époque extrêmement codifiée : primauté du matriarcat (un monde de femmes, d’'autant plus affirmé que la figure du père en est absente) et respect des conventions qui ne permettent pas d'’approuver la demande d'’un soupirant infortuné et incapable de subvenir aux besoins de sa future épouse. Grande prêtresse des portraits de femme, Jane Campion déplace ici le curseur en articulant son film autour de trois personnages principaux : aux côtés de John Keats et de Fanny Brawne, pour ne pas dire au milieu, intervient Charles Brown, poète lui-aussi, dilettante, ami de Keats qu’il chaperonne tout en semblant le jalouser et l'’empêcher de vivre son existence comme il l'’entend. Hormis l’'importance de la figure féminine, on retrouve dans Bright Star une autre thématique chère à la réalisatrice de Sweetie : le rapport organique à la nature. Les scènes d’'intérieur éclairées à la bougie, souvent filmées en contre-jour ou ombres chinoises, alternent avec celles à l'’extérieur, rythmées par le passage des saisons. Il faut ici saluer l'’exceptionnel travail de Craig Fraser, jeune directeur de la photographie, qui fait de chaque scène un tableau (on pense souvent au naturaliste Edouard Manet). Le film est d'’ailleurs entièrement marqué du sceau de la jeunesse : celle des interprètes évidemment – des inconnus qui évitent ainsi toute tentation d'’identification – mais aussi celle de l'’équipe qui entoure Jane Campion, comme Mark Bradshaw, juste 20 ans, qui réussit la gageure de mettre en musique les poèmes de John Keats, ici traduits par Fouad El Etr.

Jane Campion ne joue jamais l'’émotion facile, ce qui a tendance à faire de Bright Star un film un peu froid, parfois compassé et apprêté. Comme si l'’esthétique au sommet de la maîtrise finissait par tuer dans l’œ'œuf toute possibilité d’'incarnation – dans cette communion de sentiments et de nature, Lady Chatterley de Pascale Ferran reste inégalé. Il n’'empêche : malgré un démarrage un peu lent et une durée sans doute un peu trop étirée, Bright Star réserve de purs moments de beauté et de grâce en nous conviant à un splendide retour en arrière de presque deux siècles, époque désuète d'’un amour impossible, platonique et pourtant authentique. Romanesque en diable et bouleversant à souhait…
PatrickBraganti
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le 12 mai 2013

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