Itinérant çà et là dans des trous paumés du midwest (apparemment dans l'Idaho), une troupe d'artistes démodés, complètement en marge de la société, s'emploie à faire survivre un cirque fauché sous la direction du seul et unique Bronco Billy, auto-proclamé plus fine gâchette de l'Ouest. Clint Eastwood est, bien évidemment, cet homme, bon de cœur, sur le chemin de la rédemption, qui œuvre pour les orphelinats, les asiles de déséquilibrés, et réunit sous son chapiteau des "outcasts", abîmés ou rejetés de la société, et qui sont à ce point démunis qu'ils en viennent à profiter des plaisirs les plus simples, comme le bonheur de boire un Coca - ou un Dr. Pepper - frais avant les répétitions du spectacle de la soirée. Leur trajet, bouleversé par les fortunes et les infortunes dues à des tournées de bar, un mariage arrangé expédié en 10 secondes, ou encore un incendie malencontreux, est forcément vu au travers d'un prisme doux-amer, par lequel tonton Clint s'empresse d'accumuler les gags burlesques, les engueulades immédiatement suivies de réconciliations très viriles, et les scènes où Clint, bon gaillard qu'il est, multiplie les répliques bien senties pour séduire une Sondra Locke (alors liée à Eastwood) désabusée par les accords hypocrites presque tacites qui gangrènent New-York. Vous le sentez, le très mauvais pitch de film américain autant bourré de bons sentiments que de mauvaises intentions ?


On ne saurait avoir plus tort. Pis que cela, c'est probablement, avec Honkytonk Man, le film le plus emblématique de Eastwood. Gloire à lui. Et que les intellectuels qui iraient encore dire que ce n'est qu'un film sans importance aillent se faire voir, quand bien même ils n'auraient pas tort (auraient-ils raison ?)... Vraiment, quelle simplicité ! Quelle générosité ! Scatman Crothers est en total solo d'acting, Geoffrey Lewis amuse la galerie avec ses grimaces tordantes, et Bronco Clint Billy distribue les moments de franche humanité comme des petits pains (quelques fautes de goût, mais on s'en fiche au final). La recette est on ne peut plus basique, mais ça marche, ça roule, ça dépote. Enthousiasmant de bout en long, le film s'élève dans les cimes lors de son final, où la troupe récite sa triomphale partition, acclamée comme il se doit par tout ses "partners", sous une tente tissée de mille drapeaux des USA (aaah), réunissant sous sa bienveillance les noirs, les rouges, les blancs, les bleus et les moches. Il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour tenir préjudice à ce final, certes soupeux, mais on ne peut plus réjouissant.


Et quand il s'agit de ressusciter les vieux fantômes de l'Amérique, Eastwood ne pourrait s'y prendre de meilleure manière : tout y est filmé comme un mélange de road-movie et de western. Il y a une scène (assez moyenne néanmoins) où Clint joue au héros en barrant la route à deux braqueurs, une séquence au cours de laquelle un shérif à la Gene Hackman "flingue" Bronco Billy au milieu de nulle part, une autre où il raconte à des bambins nourris aux films de John Wayne sa rencontre avec un certain 'Charlie One Eye'... En décalage permanent, le film, résolument nostalgique, ne cesse de faire la passerelle entre le farwest (John Ford) et le midwest, et de tracer les lignes fragiles d'une culture pourtant si iconique. Et à ce titre, la meilleure scène de Bronco Billy est probablement celle où la troupe tente naïvement de braquer un train en tirant des flèches dessus : "Cowboys and Indians" ! Tout est dit.


Républicain californien, lonesome cow-boy des grands espaces, séducteur de femmes, humaniste total, vrai-faux facho, musicien de jazz et de country, personnage à cheval sur deux époques... Y a-t-il un seul Homme sur Terre incarnant mieux que Clint Eastwood la pleine mesure, plus encore que de l'américanisme, du mythe américain ?

TituszwPolsce
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le 31 déc. 2015

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