C’est mal de juger quelqu’un sur son apparence, mais quand Billy Brown (Vincent Gallo) sort de prison, difficile de ne pas voir qu’il porte sur lui son statut de délinquant.
Cheveux gras, visage antipathique, veste de cuir, dégaine de loubard, difficultés à s’exprimer calmement... Il coche toutes les cases du repris de justice, devenant même violent quand lui prend une envie de pisser qu’il n’arrive pas à satisfaire.
Ce personnage nous accroche dès le départ, parce qu’on veut en savoir plus: on sait que s’il est montré avec autant de traits négatifs, c’est soit pour en proposer une évolution, soit pour nous aider à le comprendre.
Et puis Vincent Gallo dégage tellement de charisme que même en interprétant un looser on ne peut s’empêcher d’être attirés par lui. Il est magnétique.
L’évolution vient d’une rencontre fortuite avec une danseuse de claquettes qui s’ennuie ferme. Layla (Christina Ricci) est aussi un personnage qu’on arrive à cataloguer en quelques images: cheveux teints, maquillage bleu tape à l’oeil, petite robe ultracourte façon nuisette, moue boudeuse… Elle est aussi une gueule à sa façon. Son caractère trempé et son air de fille qui a vu du pays vont l’aider à entrer dans l’univers de son ravisseur.
Elle n’a pas froid aux yeux, et elle s’ennuie tellement que l’aventure que lui impose Billy est une aubaine, une distraction inattendue. Elle est un savant mélange de candeur et de désillusion, une contradiction ambulante qu’on ne trouve que chez les personnages qui semblent réels malgré leurs extravagances.
De deux personnages a priori faciles à cataloguer, Vincent Gallo arrive à faire des entités à part entière, des êtres blessés à qui on veut croire, et qu’on veut voir évoluer, développer leur conte, créer de la poésie où on ne l’attend pas.
La rencontre avec la famille de Billy nous en apprend autant sur lui et sur son manque d’amour que sur Leyla et sa capacité à comprendre et vouloir défendre son nouvel ami.
Il suffit de peu d’échanges pour qu’on perçoive l’équilibre de leur relation, pour qu’on veuille la voir évoluer, pour qu’on ait envie de faire un bonhomme de chemin à leurs côtés.
Buffalo 66 trace sa route avec maîtrise, dans un savant mélange de plans façon film indépendant, de musiques envoûtantes, et d’histoire de vengeance.
Un climat normalement peu propice à l’éclosion une histoire d’amour délicate qui vient contraster avec la violence de Billy.
Le numéro d’équilibriste est admirablement bien exécuté et on ne s’ennuie jamais avec ces êtres marquants.
Le tout prend la forme d’un jeu d’équilibriste: à tout moment les personnages à fleur de peau peuvent exploser, et c’est cette incertitude qui nous maintient en éveil.
Il parait que durant le tournage, les relations entre les acteurs étaient tendues, au point qu’on peut se demander ce qui tient du jeu des acteurs ou de leur animosité réelle.
Peu importe la raison, le résultat est frappant.
Un film à voir pour sa belle histoire, pour ses deux personnages fascinants et pour l’ambiance générale qui ne laisse pas indifférent.
Dans le même genre, on pourra aussi re(re)garder le formidable “sur mes lèvres” de Jacques Audiard où un autre Vincent (Cassel) campait un malfrat face à une Emmanuelle Devos plus discrète mais pas cruche pour autant. Voilà des histoires comme on les aime: loin des conte de fées, ancrées dans des univers un peu crasseux mais réalistes.