Si Lee Chang-Dong nous a déjà habitué à une approche assez singulière des sujets d’une extrême délicatesse, cette fois-ci il nous surprend encore avec un thriller dont le flou et l’ambiguïté pourrait donner naissance à un nouveau genre. Le mystère semble s’épanouir dans une atmosphère contemplative, nous nourrissant d’une multitude de détails en apparence anodins.
Burning nous cloître, tout doucement, dans un espace confiné malgré les vues extérieures, malgré une acuité visuelle qui déborde de l’écran. L’ambiance pesante s’accentue comme présage d’une catastrophe à venir et ces mêmes détails inoffensifs deviennent menaçants, comme un tigre prêt à bondir. En paradoxe, le personnage de Ben (Steven Yeun), inquiétant et charismatique à souhait (et le seul à avoir l’air d’être heureux de vivre), prend ses marques au même rythme que l’intrigue. Mais, de quelles marques s’agit-il ? Ne serait-ce pas plutôt le spectateur qui jouit de la liberté de lui donner un rôle ?
Les questions et les doutes se multiplient dans cet espace où nous avons été invités à notre insu. Y a-t-il un chat ? (Cela ne peut que nous rappeler qu’il y a toujours un chat dans les histoires japonaises et que Murakami en est à l’origine) Haemi (Jun Jong-Seo ) est-elle vraiment partie en Afrique ? Pourquoi le père de Jong-Soo a-t-il frappé un fonctionnaire et qu’est-ce que cet événement a à voir avec l’histoire ? L’agressivité est-elle héréditaire ? Et surtout et par-dessus tout, pourquoi ce Ben venu de nulle part se tape l’incruste ?
Du moment précis où Ben fait son apparition, le scénario bifurque pour de bon. Plusieurs chemins se présentent devant nous et à travers les yeux de Jong-Soo (Yoo ah-in) nous jonglons dans tout un tas de possibilités. S’agit-il de la réalité ou nous sommes-nous faits embarquer par ses démons ?
Personnage laconique, il revendiquera, à plusieurs reprises, son statut d’écrivain concrétisant a contrario à lui tout seul, cette atmosphère pommée d’une jeunesse qui a complètement perdu ses repères.
Un élément aussi crucial qu’inattendu vient s’ajouter : les serres. Ces serres en plastique esseulées dont personne ne se soucie et qui ne servent plus à rien. On ne peut que faire l’amalgame entre ces serres et Haemi, papillon aux ailes cassées, ange déchu sorti directement d’un film de Wong Kar Wai. Sous l’œil attentif du drapeau coréen, elle danse sa tristesse et son désespoir dans un crépuscule dont seulement la trompette de Miles Davis peut ajouter sa magie ultime. Parce que cette scène de cette femme dénudée et fragile est l’une des scènes le plus magnifique et magique qui nous ait été donné de voir.
Je salue la performance des acteurs. Je salue ce coup de maître du réalisateur qui, à coups de pinceaux, nous montre ce tableau gigantesque, nous invitant à toute sorte d’interprétation.