Bobby Dorfman est un jeune type peu sûr de lui qui va quémander du travail à son oncle, omnipotent agent d’artistes à Hollywood dans les années 1930. Engagé grâce aux liens sacrés du piston, il s’impose peu à peu dans les soirées mondaines du gratin cinéphilique mais tombe amoureux d’une fille qui s’avère aussi être la maitresse de son tonton.


Il y a des cinéastes qui ne peuvent jamais s’arrêter, quel que soit leur âge, d’enchainer les projets, habités par une force obscure de la création et de la narration. Jamais has-been, effectivement toujours in, Woody Allen fait partie de ces génies dont il est impossible de dire que leur carrière est derrière eux (Scorsese étant l’intouchable). On ne compte plus le nombre de films d’Allen tant ils sont nombreux – Café Society est en fait son 47ème – et finalement suffisamment variés pour que nous ayons tous des préférences différentes. Au rythme dingue d’une production par an, les mauvaises langues affirment que l’octogénaire fait toujours la même chose, en l’occurrence des comédies sentimentales animées par des clowns tristes et de âmes tourmentées d’une manière ou d’une autre par leur manière de ressentir l’amour. Café Society reste éminemment dans ce registre mais montre ô combien le film « à la Woody Allen » est devenu un genre à lui seul. Pourtant, la carrière du cinéaste est tout à fait critiquable, d’autant qu’il bénéficie d’une cote auprès du public français bien plus importante qu’outre-Atlantique. Peut-être que sa vision du sentiment amoureux, teinté d’un humour pince sans rire a quelque chose de très français… que les français ne savent pas faire au cinéma !


Au-delà du triangle amoureux somme toute assez banal au cœur de l’histoire, c’est tout l’enrobage qui donne à Café Society une saveur particulière. D’abord, et ça devient une habitude en 2016 (Ave Cesar, Dalton Trumbo), le film se déroule en partie durant l’âge d’or du cinéma hollywoodien sous le soleil de Californie. L’époque donne une légèreté dépaysante qui s’adapte parfaitement au ton mélancolique de personnages complexes et empathiques. La caméra se déplace avec légèreté à coup de steadycam dans ces splendides décors colorés, s’opposant au sombre de New York représenté par un nightclub d’un autre temps. Gros travail du chef opérateur Vittorio Storaro qui élève ainsi Café Society au rang des (petits) chefs d’œuvre visuels.


C’est au tour de Jesse Eisenberg, Steve Carell (il a remplacé Bruce Willis au pied levé) et Kristen Stewart de jouer les premiers rôles, ce qui est même une deuxième apparition pour Eisenberg chez Allen après To Rome With Love. Cependant, pas de raté ce coup-ci car il forme avec Kristen Stewart un duo fantastique qui s’approprie et modernise les archétypes « alleniens », aidé par des dialogues savoureux dont seul le réalisateur a le secret. Finalement, Café Society parle beaucoup de regrets et du temps qui passe : comment une « simple » décision peut changer toute une vie c’est à dire créer un vide sentimental que même le temps n’arrive pas à combler. Steve Carell brille aussi sans en faire trop, il condense le dilemme du film car derrière sa personnalité exubérante se cachent des doutes qui s’accumulent avec l’âge. Un humour finalement autobiographique qui fait beaucoup référence aux racines juives du cinéaste à travers la famille des personnages.


Sans conteste le meilleur film de Woody Allen des dernières années, on prend un doux plaisir à suivre les pérégrinations sentimentales de personnages profondément attachants qui montrent que le style du cinéaste est plus complexe qu’il n’y parait puisqu’il se modernise en même temps que son jeune casting. Jesse Eisenberg donne toujours la sensation d’être à l’aise de ses rôles et Kristen Stewart se détache avec audace de son image Twillight avec cette nouvelle incarnation exigeante. Un plaisir pour les yeux, une légèreté attendrissante et un humour subtil font de Café Society la quintessence « allenienne » version 2016. On recommence l’année prochaine ?

ZéroZéroCed
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le 13 sept. 2016

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