Café Society par Clément en Marinière

On aura tôt fait, comme Télérama, de voir en Café Society une réminiscence de Lubitsch (ou de Mankiewicz avec le cruel et bouleversant Blue Jasmine ; ou de Wilder avec le manipulateur et cynique L'Homme irrationnel - vraiment ?), surtout si l'on s'attache à en interpréter les signes les plus ostentatoires, effluves de naphtaline et actrices sculpturales à l'appui, comme autant de preuves d'un hommage appuyé au passé. Ce serait faire fausse route, en ce que, débarrassé de toute envie de moderniser la forme de son cinéma, toujours aussi convenue, Woody Allen semble désormais poursuivre une quête désespérée de jeunesse qui, à l'inverse des médiocres Minuit à Paris et Magic in the Moonlight, libère totalement Café Society du carcan du film d'époque.


Woody Allen n'hésite cependant pas à multiplier les fausses pistes : comme la haute société du titre, dont il faudra attendre plus d'une heure pour saisir l'importance, le cinéaste ménage ses effets, quitte, dans un premier temps, à s'embourber dans les motifs les plus rébarbatifs de son cinéma. Jesse Eisenberg provoque ainsi un trouble sans précédent en parvenant à amalgamer le débit de parole de Zuckerberg avec la verve juive d'Allen dans la scène la plus embarrassante du film - une passe ratée qui n'en finit plus -, emportant par la même occasion son personnage sur une voie détestable. C'est finalement l'arrivée hors champs de Kristen Stewart, improbable mais parfaite en hybride de Gene Tierney et Daisy Buchanan, qui aère le récit et lui donne la direction qui lui manquait. C'est aussi qu'elle est au centre du chassé croisé amoureux et désabusé de Café Society, qui la voit tiraillée entre Bobby, le héros du film, et son amant, un homme marié qui hésite à quitter sa femme pour l'épouser.


Mais même porté par les yeux mélancoliques de cette nouvelle égérie, Café Society n'est pas exempt de lourdeur. En témoigne ces "dialogues-révélation" fastidieux entre Bobby et son oncle Phil, qui procèdent par a-coups, très loin des développement fluides d'un Manhattan ou d'un Match Point, pour ne citer qu'eux. Ils sont pourtant nécessaires à l'éclosion du récit, et l'entraînent dans sa plus belle ligne droite : une errance New Yorkaise au cours de laquelle Bobby et Vonnie ne peuvent que constater combien le temps a passé et les êtres, changés. Lorsque, dans une image foudroyante de beauté, Woody Allen superpose, à l'occasion d'un simple raccord, les regards vaporeux des amants maudits, séparés dans l'espace mais réunis sur la pellicule le temps d'une seconde, il pose sur la jeunesse d'aujourd'hui le regard le plus tendre qui soit ; car des manières garçonnes de Kristen Stewart au physique inadéquat de Jesse Eisenberg, c'est bien le présent que Café Society capture dans une contorsion tour à tour maladroite et brillante. Finalement très éloignés d'un Lubistch sans arrêt rattrapé par la nécessité d'exister pleinement (comme peut l'incarner le hoquet de Jill Baker dans Les Illusions perdues), Woody Allen et ses personnages, eux, semblent désormais comme tétanisés à l'idée de vivre. Et aussi terrible que soit ce constat sur l'humanité d'aujourd'hui, il est à ce point juste qu'il touche irrémédiablement au coeur.

ClémentRL
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le 13 mai 2016

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