Le cinéma politique (n'osons même pas le terme infamant de « militant »), s'est toujours fadé mauvaise presse : n'a t-on pas vu ainsi Bonello jurer la main sur le coeur que son Nocturama n'avait rien d'une tribune ? Gus Van Sant éviter poliment le terme au sujet de Promised Land pour lui préférer celui, plus sage, de « film sociologique » ? S'il est un cinéma qui doit, plus encore que les autres, lutter avec cette appellation d'origine non-contrôlée, c'est bien le cinéma LGBT : à ce titre, Luca Guadagnino, pourtant ouvertement homosexuel, a bien compris qu'en adaptant Call Me by Your Name d'André Anciman, pourtant peu avare en détails crus, son film avait tout intérêt à rester le plus sage possible.
Sur le papier, le plan semble parfaitement rodé : deux étoiles filantes hollywoodiennes (présumées hétérosexuelles, pour ne pas s'aliéner le tatillon marché américain) vivent un amour d'été dévorant mais ensoleillé comme on en a vu des centaines à Chéries Chéris ; dans le spectre large du cinéma LGBT, on fait difficilement plus anodin, ou plus « universel », comme se plaît à le répéter Guadagnino. Ce consensus sage, pourtant, le metteur en scène l'impose au prix d'altération délicate du roman d'André Anciman : ici la date change pour chasser le spectre encombrant du VIH, là le sexe est assagi et le texte d'origine, sous-écrit mais d'une jolie sensibilité, se voit réduit à une image d'Épinal LGBT - deux beaux garçons épris l'un de l'autre dans un Eden éphémère - d'autant plus banale qu'on l'a déjà vue mille fois chez James Ivory (par ailleurs scénariste du film) et consoeurs.
Tout converge ainsi vers une peine de coeur sans grand intérêt qui oblitère complètement le drame sous-jacent : lorsqu'Oliver confesse à demi-mot l'homophobie qui règne chez lui, et qui l'empêche d'aimer Elio autant et aussi bien qu'il le voudrait (existe t-il enjeu plus politique, plus ouvertement et spécifiquement LGBT que celui-ci ?), la caméra de Guadagnino n'a d'yeux que pour les larmes de l'adolescent, toutes entières versées pour elles-mêmes. Lorsque le sexe s'efface, à grands coups de décadrages d'un autre âge (les fans d'OSS 117 auront plaisir à redécouvrir le « panoramique table de chevet » et sa variante « fenêtre ouverte sur jardin verdoyant » qu'on croyait naïvement enterrés depuis un demi-siècle), le film perd également la fusion, totale et presque malsaine, qui unissait le couple du roman. On les voit bien s'appeller l'un par le nom de l'autre, mais cette confusion très littérale ne trouve plus appui nulle part : non, Oliver ne croque même pas dans la fameuse pêche, et n'espérez pas non plus retrouver les détours sexuels audacieux de leur séjour à Rome. Guadagnino entend clairement ne brusquer personne.
Évidemment, cet été là n'est pas sans charme : Timothée Chalamet, plein de fougue, donne tant au personnage qu'il semble vivre une aventure infiniment plus intense que le film lui-même. Et ce petit coin d'Italie du Nord, filmé trop sobrement, a le mérite d'être tellement riche, ensoleillé et proustien qu'il joue, lui aussi, sa propre musique. Mais on ne fait pas un film de personnages accidentels, et Luca Guadagnino, généreux en ringardise (musique de Sufjan Stevens en pleine audio-description, euro-pudding imbuvable de bourgeois polyglottes, Elio et Oliver qui courent et se mirent en riant dans les herbes hautes), et peu aidé par le script de James Ivory, à l'écriture très érudite, mais qui a prouvé avec son Maurice ne rien comprendre aux enjeux du réalisme psychologique, peine à hisser son Call Me by Your Name au niveau des plus beaux films LGBT de la décennie. Le prix de la frilosité politique, sûrement.