Période de cérémonies prestigieuses oblige, les débuts d’années sont synonymes de films d’exception. À en désespérer les spectateurs pour l’après. À se demander si le cinéma se montrera aussi fort et riche dans les mois qui suivront. Call Me By Your Name est un parfait exemple de ce syndrome. Le film, qui ravive les grands huit des premiers amours, se classe déjà comme l’un des sommets de 2018.
L’amour en trois actes. En trois films. Tout d’abord avec le prometteur Amore. Puis dans A Bigger Splash, remake de La Piscine, qui fit davantage l’effet d’un plouf. Enfin, par le solaire Call Me By Your Name, adaptation du roman d’André Aciman. Le réalisateur Luca Guadagnino y conclut à merveille sa trilogie sur l’amour. Mais surtout le désir.
Été 83. Quelque part dans le nord de l’Italie. Sous un soleil de plomb. Comme tous les étés, Elio, 17 ans, accompagne ses parents intellos dans une ancienne villa familiale. Le jeune homme, bien sous tous rapports, traîne avec son groupe d’amis. S’ennuie. Se baigne. S’ennuie. Flirte avec la belle Marzia. S’ennuie. Retranscrit de la musique. S’ennuie. Arrive alors l’étudiant estival, venu suivre l’enseignement de son père pour six semaines. Un américain cette année. Oliver de son prénom. Un dieux grec qui va faire exploser le monde d’Elio.
Sobre, élégant, lyrique, enchanté ou encore déchirant. Les qualificatifs ne manquent pas pour saluer le travail de Guadagnino, bien épaulé par James Ivory. Les deux hommes signent avec ce film une histoire d’amour universelle. De celles qu’ont a pas déjà vu des centaines de fois. Un amour, un vrai oui. Dans tout ce qu’il a de plus enivrant, de maladroit, de passionnel et de déchirant. Presque arrivé à une forme de quintessence de son cinéma, l’italien capte à merveille les premiers émois d’Elio, formidable Timothée Chalamet. Ses ruptures de rythme servent, avec justesse, la lente montée du désir que ce personnage éprouve pour Oliver, campé par le tout aussi remarquable Armie Hammer (qu’on redécouvre presque avec ce film). Comme lors de cette scène de dialogue, où les deux hommes conversent autour d’un monument de la première guerre. Ils s’effleurent, s’éloignent et enfin se rejoignent dans une osmose parfaitement mise en scène.
D’un côté donc, un jeune européen introverti, qui se cherche, vierge des choses qui comptent. Prisonnier d’une certaine rationalité. Bientôt soulevé malgré lui par la prise de conscience de son corps sur sa propre sexualité. De l’autre, un américain, magnétique, aux manières brutes. Un soleil qui vous attire, vous brûle et vous consume. Un choc des cultures qui ne peut mener qu’à une attraction inévitable. À un jeu de séduction où se suivent gestes, paroles, regards et silences lourds de sens.
Évitant la carte du mélo larmoyant, c’est au contraire à travers sa simplicité désarmante, que le film touche le cœur des spectateurs, réveillant en eux les souvenirs des premiers désirs. Lorsque les affres de la passion consument le corps et l’âme. Lorsque la réalité vous arrache à cette bulle. Cet endroit où rien ne semble pouvoir vous atteindre. Où tout ce qu’on à faire, c’est prendre du bon temps, éveiller ses sens et apprendre à aimer, imperméable à toute forme de négativité.
Sans le moindre jugement sur ce qu’il montre, Luca Guadagnino l’embellit au contraire avec grâce. Jusqu’à dans l’univers qui entoure les personnages. Décors où transparaît l’amour naissant. De ces pêches aux allures de fruit défendu. D’un empoignade virile au sous-entendu si sensuel. De ce soleil qui rend les corps moites, brûlants. Même dans sa conclusion d’un amour que l’on sait éphémère, le film en reste bouleversant. Comme à travers cette scène, qui aurait pu servir de conclusion. Celle où un père livre à son fils un monologue terrassant. Une leçon de vie et d’acceptation pour Elio, encore hanté par cette parenthèse qu’il ne veut pas voir se refermer. C’est d’ailleurs sous un ciel de neige, loin de la chaleur d’un été encore palpable que la réalité résonnera dans un combiné. Échange où l’un est encore habité par l’autre. L’ado de 17 ans comprend que la bulle a bien éclatée. Les larmes de la prise de conscience coulent. Dans son regard, l’apprentissage douloureux de l’amour commence. Et alors que le générique du film défile, le spectateur, à la manière d’Elio hypnotisé par les flammes, ne peut pas quitter l’écran des yeux. On sait que cette bulle éclatera en quittant la salle.
Générique de fin :
Call Me By Your Name frappe au cœur. Luca Guadagnino filme avec élégance, simplicité et sensualité l’émoi et la détresse d’un premier amour. Une romance universelle portée par deux acteurs en état de grâce. Du cinéma qui se déguste comme un bon verre de vin sous le soleil de l’Italie, un soir moite et humide d’été.
https://pellicules35.wordpress.com/2018/03/01/call-me-by-your-name-freed-from-desire/