Voilà les mots que dirait un bébé masochiste s’il pouvait parler.
Dans un film de fiction, on assiste, impuissant.e.s, à cette scène où l’on attache, dans le champ de la caméra, un gamin tout sale.
Le rôle du public au cinéma est de se mettre à la place de l’autre, des personnages. Dans cette scène, le quatrième mur est rompu. Nous devons-nous mettre à la place de ce bébé «acteur» malgré lui, et non de ce bébé «personnage». Aimerions nous avoir été montré au monde, peut-être contre notre gré, attaché à un mur par une corde, face à une équipe de cinéma, à quelques mètres de nous, et sans pouvoir manifester notre mécontentement éventuel face caméra ?
La scène en elle-même est-elle plus dérangeante que le fait même de savoir qu’une réalisatrice, et une équipe de cinéma derrière elle, l’a tournée, l'a mise en scène, sans mots dire ?
Capturer l’âme d’un regard, c’est ce à quoi s’évertuent les cinéastes et les photographes depuis plus d’une centaine d’années maintenant. Ici, cependant, la démarche est différente. On ne se contente pas du regard, il faut épuiser les corps enfantins, les faire pleurer, les mettre au travail, leur faire porter des objets lourds, sans l’artifice du montage, avec l’excuse de montrer la pauvreté des rues libanaises. Ces enfants sont prisonniers du regard de Nadine Labaki.
Sous une approche documentaire, la réalisatrice "fictionnalise" les récits de vie de ses protagonistes, sans se poser de questions sur la morale d'une telle démarche. Exploiter un bébé, exploiter le corps d'enfants, exploiter leurs yeux miséreux, jusqu’au bout, jusqu’au dernier plan. Tout cela lui a permis un beau succès, des scènes poignantes, et un film montré en compétition à Cannes (prix du jury).
Pourtant, ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que sont devenus, dans la réalité, ce bébé et ce jeune garçon. Où sont-ils aujourd’hui ? Sont-ils seulement encore vivants ?