Texte originellement publié sur Filmosphere le 19/04/2016.
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Dans la jungle débilitante du divertissement contemporain, l’heure est à l’entassement. Hollywood engendre des films obèses sous prétexte de générosité, chaque suite ou spin-off en rajoutant une couche dans les informes univers partagés. Captain America : Civil War est un rayon de plus dans un supermarché déjà encombré, celui qui réunit dans la même promotion tous les produits les plus gras et indigestes avant le passage en caisse du consommateur bien heureux.


« Mais c’est Marvel, c’est du simple divertissement ! » nous rappelle-t-on subtilement à chacune de leurs productions. Sous prétexte dudit divertissement, il ne faudrait pas trop en demander, encore moins intellectualiser le film. C’est peut-être déjà un paradoxe quand chaque film, d’un certain point de vue, est un divertissement, pour peu que l’on n’assimile pas le mot à une action puérilisante. Vraisemblablement, il ne faut pas non plus demander un film d’action ne serait-ce que correct. Évidemment, c’est le lot d’un film qui emploie des réalisateurs de sitcom pour ce qui devrait revenir à un auteur plus audacieux et expérimenté. Captain America : Le Soldat d’hiver en affichait déjà les stigmates, et si l’on aurait pu envisager une quelconque amélioration vis-à-vis de sa suite, il faut surtout comprendre qu’en réalité, c’est simplement la même chose qui a été amplifiée. Et là où l’argumentaire de l’innocent divertissement s’estompe doucement et prend une tournure plus inquiétante, c’est lorsque le personnel derrière le film prend finalement cet ensemble très au sérieux, malgré un second degré vaguement revendiqué.


Il faut revenir quelques années auparavant pour davantage saisir l’ampleur de ce problème. Au fur et à mesure des « phases » (à croire qu’il s’agit du plan d’une opération militaire pour contrôler le monde, c’est glauque), les singularités de chaque franchise séparée ont été formatées sous le canon Avengers. Façon The Dark Knight, Le Soldat d’Hiver a pris au sérieux l’intronisation d’une démarche politique dans la saga Marvel, selon des thématiques contemporaines, mettant en scène une Amérique ennemie d’elle-même, avant de finalement annuler tout ceci, reléguant la faute sur les nazis. Avengers : l’Ere d’Ultron s’ouvrait carrément sur l’apologie pétaradante de l’interventionnisme à l’américaine, voyant notre bande de joyeux lurons mettre le zouk dans une quelconque république d’Europe de l’Est. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils doivent en assumer la responsabilité dans Captain America : Civil War, s’interrogeant justement sur la légitimité des interventions de ces héros. Ce qui est moins intéressant, c’est qu’ultimement, la réalité est que Captain America ne souhaite pas que son pouvoir et celui de ses compagnons soit régulé par l’ONU, et que jamais le film ne le remet réellement en question puisque le personnage se dit bien intentionné. Libre à chacun de mettre ceci en perspective avec une certaine politique belliciste faisant fi des requêtes des Nations Unies. Simple divertissement, donc ?


L’antagonisme sur lequel repose la fameuse guerre civile est en réalité dysfonctionnel, la faute à des enjeux mal écrits et des personnages qui finalement ne reflètent plus rien. Sans doute un comble lorsque le protagoniste le plus raisonnable de l’aventure, Vision mis à part, n’est autre que le mégalomane Tony Stark, devenu largement conscient de sa déviance. Ce qui devrait être cruel et tragique n’est alors qu’un différend se solvant à gros coups dans la face, mais sans grandes conséquences. C’est sans doute dommageable de penser que quiconque est venu chercher de la bagarre n’accorde pas d’importante aux enjeux dramatiques de l’histoire. Même dans un film de super-héros, ils sont capitaux, et c’est bien ce que nous avaient appris nos amis Richard Donner ou Sam Raimi. La conscience du récit est finalement sacrifiée sur l’autel de l’iconisation, comme si le simple fait que ces surhommes deviennent rivaux s’auto-justifie. On les regarde alors platement s’affronter dans un aéroport vide, causant sans doute trois trillions de dollars de dommage dans leur infantile querelle, mais qu’importe, il paraît que c’est ce que l’on est venus chercher : des héros en images de synthèse qui cassent un décor en images de synthèse. Curieuse impression de déjà-vu.


Le film de Joe et Anthony Russo donne plus explicitement l’impression que rien ne peut être mué au sein du genre super-héroïque, pas même la captation de l’action en elle-même, manquant cruellement de ré-invention. Formellement, comme son prédécesseur, le film est toujours schizophrénique : d’un côté, il y a ces tunnels de dialogues filmés avec une mollesse sans pareil, reprenant le classique dispositif d’une sitcom, et de l’autre, de l’action illisible expédiée par des réalisateurs de seconde équipe en roue libre. Il est triste de constater que même les très talentueux David Leitch et Chad Stahelski (réalisateurs de seconde équipe confirmés, mais aussi auteurs du très agréable John Wick) peinent à bouleverser la médiocrité du résultat, sans doute la faute à un montage qui hache et sabote toute tentative de mise en scène. Il ne faudrait pas non plus développer trop d’idées de cinéma, les spectateurs pourraient y prendre goût.


La bêtise de l’ensemble ne laisse ultimement aucune piste viable en guise de démarche ambitieuse. L’écriture est incohérente au possible mais qu’importe, après tout, le futur de Marvel, déjà bien pensé et empaqueté par la petite équipe de Kevin Feige, est aussi écrit qu’il est prévisible pour le spectateur. Toute l’audace qu’il était possible de développer au sein de l’adaptation du comics Civil War est simplement réduite à un film comme un autre, un vulgaire produit fait par de vulgaires auteurs. Le goût laissé dans la bouche est amer, peut-être est-ce à cause de tout ce brouhaha reposant sur bien peu de chose, ou encore sur cet énième désamorçage politique made in Marvel : une fois de plus, le problème des Avengers et, par extension, de l’Amérique, ne vient pas directement de son sein, mais d’un quelconque trublion extérieur, dont la revendication morale pourrait être justifiée, mais n’étant au final qu’un individu vengeur et mal intentionné. Malgré les dissensions existant désormais au sein de l’équipe, le Bien triomphe alors que Steve Rogers et ses amis font ami-ami avec le (très riche) fils-héritier d’un monarque-dictateur africain.


Les lumières se rallument au son de la soupe musicale d’Henry Jackman, le public applaudit. Après tout, la promesse a en effet été tenue : Captain America a frappé Iron Man (ainsi que toute une bande de seconds couteaux dont on n’a que faire) pendant que l’on a pu profiter d’un Spider-Man encore plus pénible que son prédécesseur. Ce doit être un évènement, semblerait-il. Cependant, la rivalité des protagonistes pourrait presque être méta, quand en face se chamaillent aussi ceux de l’écurie concurrente, DC/Warner. C’est toute l’industrie hollywoodienne qui s’envoie des bourre-pifs ! Mais plus encore, les films posent involontairement une question fondamentale aux yeux de l’Histoire du cinéma moderne : faut-il préférer des blockbusters aux mauvaises idées à des blockbusters sans idées ? Le box-office, juge irresponsable et dégénéré de notre futur, aura bien vite fait de trancher.

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le 29 sept. 2016

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Lt Schaffer

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