Tout d'abord, essayez de vous rappeler la dernière fois que vous avez vu un film semblable à Captain Fantastic...


Les sujets en question ?
L'éducation, les modes de vies, le rapport à la mort, la normalité et ce qui est apparemment "bizarre", le "parler vrai". Aussi quand avez-vous déjà vu la remise en question filmée dans un film ?



Tout simplement, quand avez-vous vu un film comme ça ?



Je trouve que c'est une chance que ces thèmes puissent être abordés ici. Le questionnement vient des Etats-Unis...et oui, et par Matt Ross, qui nous transmet une expérience vécue.
Et c'est un film drôle et touchant qu'il nous propose, un film de partage.


Ce que j'aime avant tout chez ce réalisateur, c'est qu' il n'impose pas une vision,
ce que je lui ai vu reproché dans certaines critiques. Au contraire, il nous laisse la possibilité de placer notre curseur personnel où l'on veut dans la confrontation de ces "deux mondes".


Laissez-moi vous dire pourquoi ce film m'a touché.
Tout d'abord, je vis au milieu d'un village alternatif, et j'ai, d'une certaine manière rencontré, à différents degrés, tout ce qui nous est présenté du côté de la famille "Fantastic", les Dreamcatchers, les improvisations musicales, la médicamentation et la médecine alternative, les yourtes, les tippis, les huttes à sudation, le yoga, la spiritualité, les trocs, la confiance, cultiver ses légumes, l'autonomie énergétique...et aussi les regards incompréhensifs des gens plus ancrés dans le mode sociétal tel qu'il nous est imposé aujourd'hui en tant que norme.
C'est drôle de se confronter, tout au long du film, aux différentes sensibilités et visions proposées.


Ensuite, je venais de perdre un ami au village, de 32 ans, décédé exactement la veille de la séance.
Le rapport à la mort, la question des choix de la médication, de l’hôpital ou non, de la responsabilité, tout ça résonnait fortement en moi :


Prenons la scène qui se déroule dans l'église.
C'est une parfaite mise en abyme de nos comportements face à la mort, de l’hypocrisie générale, et de notre appropriation ou non de ces rites de passages.
Nous avons une église remplie de personnes habillées en noir, avec un prêtre qui connaît à peine la défunte, qui parle du chien qu'elle aimait (sic...) Et nous connaissons tous cela. Nous avons tous connu un enterrement, où nous mettions pour la première fois les pieds dans cette église, où le curé ne connaissait personne, où tout était codifié, où l'on avait confié la gestion du "corps" à des pompes funèbres. Bref, on est à côté de ses pompes.


Et voilà qu'arrive la famille "Fantastic", bariolé de couleurs, qui veulent voir le corps de la mère, respecter ses dernières volontés, parler d'elle "vraiment" et non ce simulacre, puis faire la fête.


Notre village "Fantastic"


Samuel, était resté quelques jours dans son lit, nous l'avions installé sur un congélateur aménagé, là, chez lui. La classe. La nuit, des femmes et des hommes le veillaient avec des bougies et chantaient. Le jour on préparait des pains, des tartes en prévision de l'enterrement et de la cérémonie, les enfants jouaient autour, il avait sur son torse des dessins, des fleurs, des textes. C'était un village de 100 personnes or nous ne faisions plus qu'un. Dans l'église, soigneusement décorée de branches et de fleurs, nous étions habillés aux couleurs du reggae, à la demande de sa mère, car Sam était un vrai spécialiste de cette culture. 3 heures durant à lui rendre hommage de façon poignante, à jouer de la musique , ou à en improviser à l'intérieur les murs de l'église, comme une immense fête païenne, à communier notre douleur, bref à nous approprier ce moment, ce rite de passage, la vie au service de la mort. C'était la vie d'un village, la vie des êtres reliés par amour et une forme de conscience, un savoir-vivre ensemble que nous expérimentions autour d'un ami qui venait de partir.


La procession a suivi, on a traversé tout le village ensemble sous l'air d'un vieux reggae roots diffusé par un système radio amateur que Julien avait installé, pour arriver au cimetière, tout en haut de colline ("c'est une maison bleue...") de ce village de hippies, décoré de mille bougies et de fleurs. Tu te serais cru dans un film de Myazaki. C'était extraordinaire.


Alors oui, ce mode de vie existe, c'est une célébration, nous avions beaucoup partagé ce jour-là, et paradoxalement, la vie était mise en avant. Nous étions soudés, heureux, vivants et dans le deuil.
Le film de Matt Ross n'est pas un fantasme. Il y a vraiment des gens qui cherchent encore à vivre ensemble, à partager, à s'entre-aider...


Plusieurs niveaux de lecture...


Au second visionnage j'ai noté qu'au fond le film était insidieusement transgressif en vertu des valeurs religieuses Américaine établies jusque dans leur Constitution. Plusieurs points :


1 - La famille "Fantastic" se sert de la religion pour faire fuir le policier - c'est un petit crochet du réalisateur envers la prolifération des assemblées religieuses et les contradictions de cette société...


2 - Aux USA, déterrer un corps est un acte hautement subversif. Aujourd'hui, dans nos "sociétés modernes", on a carrément pas le droit de disposer de nos morts. Tu trouves ça normal, toi ? Tu ne peux pas juste balancer des cendres romantiquement au bord de l'eau, non, il faut que tu payes. (si vous avez d'autres informations à ce sujet, merci de me le partager)


3 - Les scènes de nudités sont aussi intentionnelles :
La volonté du réalisateur n'est pas de choquer, mais de présenter un autre type de vie


Viggo Mortensen dans son plus simple appareil et les enfants nus


4 - la scène de vol dans le supermarché est extrêmement subversive pour un pays capitaliste tel que les USA


5 - la scène avec les enfants qui demandent du vin à table, le regard du père sur la restauration rapide américaine lapidaire (c'est du poison ! - basique mais efficace)........


Matt Ross arrive en peu de temps à nous brosser un portrait de la décadence de la société Américaine (mais tu peux aussi appliquer ça chez toi)



Cependant voici ce qui m'a le plus séduit :
l'éducation, et comment on transmet le savoir.




  • le "parler vrai" : Matt Ross nous propose un "parler vrai", plus direct, moins consensuel, où les enfants sont considérés. A plusieurs reprises, Captain Fantastic explique les choses telles qu'elles sont. C'est remarquables lorsque sa plus jeune fille lui pose des questions relatives au sexe et au viol. Et la scène du repas familial avec la famille de sa sœur, on comprend mieux les différentes approches lorsqu'il faut parler de la mort ou de la maladie.

  • le savoir digéré, compris, et analysé : outre la démonstration faîte avec sa fille de 8 ans à propos d'un amendement de la constitution Américaine, j'ai beaucoup aimé la scène où sa grande fille doit s'expliquer, argumenter sur Lolita de Nabokov.


Au final, "Captain Fantastic" parle de respect, de considération.
Quels que soient les choix que vous faîtes, de vie, d'éducation, pour vous-mêmes et vos enfants, respectez le choix des autres, car vos choix sont pas meilleurs, ce sont justes les vôtres.
(Je me rappelle ce moment où les enfants sont choqués par l'obésité, et le rappel de l'un d'eux qu'il ne faut pas se moquer des autres, ou cette scène où notre capitaine Fantastique s'excuse auprès de sa sœur de ne pas avoir respecté les règles de vie de cette maison et la pudeur qu'elle demandait face à une situation tragique, le suicide de madame Fantastic)


Captain Fantastic, un film pour réfléchir, ensemble


Bien sûr (et heureusement j'ai envie de dire), le modèle du père Fantastic n'est pas parfait, discutable, et c'est tant mieux :
Certains de ses enfants réalisent qu'ils sont comme des freaks. Dans le fond, notre vrai erreur serait de ne jamais rien remettre en question.
De même le grand-père n'est pas un personnage caricaturé, et on finit par comprendre son point de vue. Et on le doit.


Cela m’amène au point que j'ai cité plus haut : la remise en question.
Plus que dans n'importe quel film, on voit un père se remettre en question lorsqu'il met en danger la vie de sa fille. Il se remet en question face à sa responsabilité dans la maladie de sa femme, et les choix de vie qu'ils ont pris suite à cette situation.
Et cela fait du bien de "voir" ces prises de conscience.
(Je précise, pour les ronchonneux, que nous n'avons pas eu droit à un scénario cliché de type " je me battrai pour la garde de mes enfants" ...)



Non, là il est question de remise en question, d'acceptation. Notions qui vivent mal aujourd'hui. Où en serait-on dans ce monde si on reconnaissait plus facilement nos fautes et nos erreurs ?



Finalement, ce film a l'intelligence de nous laisser réfléchir, de poser les éléments de réflexion, et de nous faire rire !


On pressent le point de vue du réalisateur en "entre-deux" dans la scène finale, où les enfants déjeunent et étudient dans la cuisine, avant de prendre le bus de l'école. Scène magnifique, quelques minutes sans dialogues, un flottement, et nous, flottant dans la salle obscure. Un moment assez rare qui semblait dire...
"allez, c'est à vous maintenant !"


En tout cas, j'ai choisi.
Je veux être un capitaine fantastique.

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le 29 nov. 2016

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