La chair de ma chair

S'il est un cinéaste actuel qui suscite l'émoi, c'est bien Gaspard Noé. La sortie récente de son film Love le prouve : soit adulé, soit décrié, le film et l'oeuvre du réalisateur en général ne laisse pas indifférent. Mais revenons à nos moutons, ou plutôt, à nos chevaux.

Carne, c'est un moyen-métrage, un film trop long pour être un court et trop court pour être un long : une anomalie en somme, tant dans sa forme que dans son fond. Pour la forme, on peut le dire, rien n'est "normalisé" : les plans fixes découpent les corps inhabituellement, les réifiant de manière brutale, le son tranche le récit comme la feuille de boucher arrache une côte à sa sœur si bien accrochée. Et il en va de même pour le fond : l'existentialisme s'entremêle avec une histoire incestueuse un peu bancale visant principalement à dépeindre les immondices d'un monde en décomposition.

La séquence d'ouverture est finalement à l'image du film dans son ensemble : elle présente les choses horribles sobrement, comme faisant partie intégrante de la vie de tous les jours, comme un constat affable sur la dureté et la réalité du monde qui nous entoure. Car oui, tous les jours, des milliers d'animaux, vaches, agneaux, moutons, veaux, chevaux, poulets et j'en passe sont tués pour que nous en mangions la viande ; c'est un constat, froid, simple et terrible à la fois, tout comme l'histoire de ce boucher, interprété par un Philippe Nahon magistral.

Carne, c'est un film sur la vie dans tout ce qu'elle a de plus dérangeant et pathétique, sans effet de manche, avec toute sa violence et sa dépravation, et pour son parti pris et son audace, il se taille une réputation sulfureuse de viande avariée qui va coller à la peau de Noé pendant encore longtemps.