Le film contient d’indéniables qualités. Julianne Moore est excellente en mère livide, démoniaque et hors de toute réalité. Elle personnifie à merveille le pouvoir de destruction des parents sur leurs enfants. Chloë Grace Moretz, du haut de ses 17 ans, est également très bien, et crée avec sa partenaire une relation mère-fille fascinante, faite de haine et d’amour, de fascination et de crainte, d’obéissance et de rébellion.

Par ailleurs, le choix de Kimberly Pierce à la réalisation était judicieux. "Boys don’t cry" illustre très bien les thèmes de la sexualité malmenée, du passage à l’âge adulte, et du malaise de chacun face aux transformations de son corps. L’association de ce thème à celui de la télékinésie aurait pu donner lieu à un film intéressant.

Carrie est dotée de pouvoirs. C’est à travers eux qu’elle est un individu à part entière et qu’elle devient ce qu’elle est censée être, non ce vers quoi sa mère s’évertue à l’amener. Malheureusement, le film néglige cet aspect du personnage, et montre à peine comment Carrie découvre, apprend, accepte, et maîtrise son don. On la voit seulement emprunter des livres à la bibliothèque, d’abord pour les lire, ensuite pour les faire léviter autour de son lit puis, de temps en temps, s’exercer sur sa mère. Par conséquent, les capacités dont elle fait preuve à la fin du film paraissent disproportionnées.

Mais il y a encore plus dérangeant. Le livre de Stephen King est un flash-back. Par l’utilisation minutieuse d’articles de journaux et d’interviews, l’écrivain décrit les circonstances d’un évènement dont on connait déjà l’issue. Cette façon de raconter l’histoire crée un suspense et une tension de page en page (ce procédé a intelligemment été utilisé dans "District 9"). Le film de De Palma avait pris le parti de raconter l’histoire de Carrie "en temps réel" et, ainsi, de créer la surprise pour le spectateur lors de la scène finale. Le remake fait exactement la même chose alors qu’il aurait pu, en reprenant l'idée du flash-back, se démarquer de l’original et, par conséquent, justifier son existence.

Pourquoi les deux films refusent-ils ce schéma narratif ? Est-il anti-cinématographique ? L’adaptation d’un livre au cinéma exige, évidemment, des coupures. On ne peut pas tout raconter. Et adapter n’est pas seulement le traduire en images. C’est aussi l’opportunité pour un scénariste de créer une histoire qu’un livre lui a inspiré. Même s'il utilise une idée de départ qui n’est pas la sienne, il peut néanmoins se l’approprier et raconter une histoire originale jouissant de sa propre identité, indépendamment du livre sur lequel elle se base.

En l’espèce, le film prend la pire des décisions. Il respecte la chronologie du livre à la lettre (la douche, les scènes à la maison, les pouvoirs et le bal), mais évite systématiquement d’aborder les thèmes plus profonds que véhicule l’histoire. Il ne fait que mettre en scène une sélection de passages du livre. Il est par ailleurs très court : seulement 90 minutes. Quinze de plus auraient permis de développer sur les pouvoirs de Carrie, et quinze supplémentaires de tourner de fausses interviews relatant par anticipation la scène finale, et conférer au personnage de Carrie une dimension prophétique.

"Carrie" s’ajoute à la liste, déjà bien trop longue, des remakes de films des années 80 et 90 et, comme ses prédécesseurs, ne constitue qu’une version timorée, lisse et aseptisée de leur modèle.

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le 11 sept. 2014

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AlexLeFieutard

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