Le Klapisch c’est comme le vin… Il faut (vraiment) du temps.

« L’amour c’est comme le vin... Il faut du temps. »
Quand j’ai entendu cette punchline dans la bande-annonce, je me suis tourné en direction du pote avec qui j’étais dans la salle et on a ri.


C’était consternant de caricature.
J’ignorais encore qui était l’auteur de cet énième film français qui semblait se réduire à une simple accumulation de stéréotypes visant à séduire le bobo parisien, mais en tout cas une chose me paraissait alors certaine : non seulement j’étais convaincu que ce film serait une véritable coquille vide, mais en plus il me paraissait acquis que je n’irai jamais le voir…
« L’amour c’est comme le vin… »
Non mais franchement !


…Et puis est apparu le nom de Cédric Klapisch…
Et là… J’avoue que je me suis soudainement senti très gêné…


Cédric Klapisch, quoi…
Pour moi ce gars est l’un des rares cinéastes français qui mérite encore l’attention !
Mais bon, même si le bon Cédric sortait d’un très intéressant « Casse-tête chinois », je savais aussi qu’il était capable de commettre des films comme « Ma part du gâteau ».
Du coup, j’ai quand même voulu y aller, histoire de me faire mon idée, mais avec pas mal de réticence je dois bien l’avouer…
Et… Oui, pour le coup je confirme : il n’y a pas que l’amour qui soit comme le vin ; il y a aussi ce « Ce qui nous lie. » Là aussi, il faut du temps !


Il faut du temps parce qu’au début j’ai vraiment retrouvé toutes mes sensations de la bande-annonce. OK, la mise en scène était soignée, avait le sens du cadre et du rythme (le générique notamment est plutôt bien foutu, faute d’être véritablement original), mais toutes les scènes ne faisaient que puer la caricature de film fait par des bobos pour des bobos.


Ces paysages, cette narration, ce petit décorum autour du vin, de la France métissée et apaisée, des gentils cyclistes qui roulent sur ces routes champêtres… C’est bien simple, j’avais l’impression de revivre « Une grande année » de Ridley Scott !
Même regard béat ; même narration de vacances ; même imagerie « carte-postale », et puis surtout, même intrigue insignifiante.


Parce que oui, au début du film, ce « Ce qui nous lie » ne brille vraiment par son originalité et sa profondeur. On voit tout de suite où il veut en venir et par quels étapes il va passer.
Bref, je revivais là ma triste expérience de la bande-annonce, avec pour seule et unique consolation le fait de me dire que le film avait au moins le mérite d’être propre formellement, avec quelques petites idées sympas sans qu’elles soient transcendantes…


Mais bon…
Comme dit plus tôt, ce Klapisch c’est comme le vin : il lui faut du temps.
Non pas que l’histoire devienne plus originale ; non pas qu’on quitte ce décorum fantasmé de bobos ; ça non… Disons plutôt que, malgré tout ça, il y a quand même quelque-chose qui a fini par prendre le dessus chez moi : c’est la sincérité de la démarche.


Alors oui, je sais que c’est un argument à la con, mais je trouve qu’il est quand même difficile de nier ça à Klapisch. Il est certes difficile de définir clairement à partir de quand un auteur n’est plus en mode automatique et à partir de quand on a l’impression qu’il livre quelque-chose qui vienne de lui ; quelque-chose de sensible…
Seulement, ce fut un fait me concernant : il y a vraiment eu quelques scènes qui furent des pivots pour moi et sur lesquelles je n’ai eu aucun doute sur leur nature.


A mes yeux, la force de Klapisch tient en une certaine retenue, voire la pudeur.
A de nombreux instants le film dissémine des moments d’émotion. Et s'ils ne sont pas non plus des modèles de subtilité, ils présentent au moins le mérite de ne pas être trop appuyés.
Le rythme compte avant toute chose. Dès que l'idée est passée et que le tempo est respecté, Klapisch a le mérite de ne pas s'attarder, laissant le spectateur se projeter dans le personnage plutôt que de s'apitoyer dessus.


(Je pense notamment au moment où on voit Juliette qui pleure en se remémorant son père qui lui a appris à conduire un tracteur, mais qu’on n’entend pas derrière son habitacle vitré… Je pense aussi aux dernières retrouvailles entre Jean et son père qui ne se traduisent pas par un échange direct plein d’effusion mais par des narrations différées dans l’espace et dans le temps, le tout ne se traduisant au final que par une simple poignée de main… Ou bien je pense enfin à ces souvenirs nostalgiques où lieux passés rencontrent personnages du présent et vice-versa comme c'est le cas par exemple de la fameuse balançoire ou bien de la chambre à coucher…)


Alors oui : c’est du cliché, c’est du bobo, c’est du "mangeons des choses simples, mangeons Hertha", c’est du Pio Marmai… Mais voilà, chez moi, ça a fini par marcher.
Il m’a fallu attendre pour que ça marche, mais ça a quand même marché.


Parce qu’après tout, moi j’aime bien aussi me manger des films assez classiques dans leur façon de mener les choses ; qui n’inventent rien ; mais qui ont au moins le mérite de faire ça bien.
Ça vaut pour un bon film d'action ou un bon film d’épouvante, comme ça peut valoir pour une comédie de mœurs bobo-parisienne.
(...Et autant dire que quand on a un adorable François Civil dans son casting, ça vaut encore plus pour une comédie de mœurs bobo-parisienne !)


Car - pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus - sachez que non, en soi, le cinéma bobo-parisien ne me dérange pas.
Il me dérange quand il est omniprésent ; qu’il s’impose à nous avec toutes ses violences symboliques, et quand – surtout – il se risque à cette condescendance d’oublier de faire du cinéma parce qu’au fond il est au-dessus de cela.
Eh bien, de mon point de vue, ce n’est pas le cas de ce « Ce qui nous lie ».
Même s'il ne fait pas de la manière la plus subtile qui soit, ce film n’oublie pas de faire du cinéma. Ce film n’oublie pas de nous livrer une émotion qu'il veut sincère.
Après tout, pas besoin d'avoir toujours un très grand cru sur la table pour émoustiller un repas.
Parfois une bonne bouteille honnête, ça sait aussi faire l'affaire...

Créée

le 16 sept. 2017

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