Plaque Tournante

Bien qu'il soit considéré comme mineur et sans grand intérêt (on le voit d'ailleurs aux notes des autres utilisateurs), The Face On The Barroom Floor (le titre est emprunté à un poème de Hugh d'Antoine d'Arcy), marque un tournant dans la carrière de Chaplin. Pour la première fois, l'ombre du drame fait son apparition dans une œuvre du grand Charlie. Plus qu'une ombre, le drame est même au cœur de ce court qui échoue de facto à nous faire rire.

Dans un bouiboui, Charlot, ivre, raconte aux autres piliers de bar les raisons de sa déchéance. Sous la forme de flashbacks (procédé qu'il utilisera seulement deux fois par la suite dans Charlot Soldat et les Feux de la Rampe), on voit alors Charlot, artiste peintre, amoureux d'une jolie modèle. Mais, à son grand désespoir, elle tombe amoureuse d'un bonhomme dont il tire le portrait.
Sous le couvert d'une satire du poème mentionné plus haut, dont les vers apparaissent dans les intertitres, Chaplin laisse pour la première fois s'exprimer la mélancolie et la tristesse qui marqueront ses grands chefs d’œuvres. Nous sommes en 1914 et, pourtant, le "Tramp" du Kid, des Lumières de la Ville et du Cirque est déjà là dans toute sa splendeur. J'irais même jusqu'à dire que Charlot Peintre amorce d'une certaine manière ce que sera l'Opinion Publique sept ans plus tard.
La courte scène où Charlot déchire de rage la toile de son rival est foncièrement dramatique, presque inquiétante et bien qu'il tente de nous décrocher quelques rires dans le bar lorsqu'il tente de reproduire le visage de sa bien-aimée sur le sol, nous ne sommes pas dupes : cette comédie est avant tout un drame, à l'image de ce moment où Charlot, après avoir été trahi, joue nerveusement avec son pinceau et tâche sa chemise, qui apparaît alors comme ensanglantée. Slapstick is (almost) dead.