Un petit gout amer dans la bouche. Et des larmes aussi. Quand je regarde un film, soit je me laisse porter par l’aventure et le divertissement, l’exotisme en somme, comme pour Harry Potter ou X Men, soit je trace déjà les grands axes de réflexions à tirer du support que je suis en train de visionner.


Chez Nous n’est pas un film, est au delà d’un film, rarement il m’aura été donné à voir une construction aussi riche, et qui utilise aussi bien le médium qu’il utilise pour communiquer.
Pauline Duhez, infirmière libérale à Hénnart, ville fictive du Pas-de-Calais, travaille sans relâche pour ses patients, s’occupe seule de ses deux enfants et de son père, ancien métallurgiste communiste victime de l’amiante. Un jour elle se voit proposer par le médecin avec qui elle travaille, le docteur Philippe Berthier de représenter le Rassemblement National Populaire RNP parti d’extrême droite dirigé par Agnès Dorgelle ; d’abord hésitante, Pauline se laissera convaincre par le discours dé diabolisé et populiste de Berthier et Dorgelle, et par les avis décomplexés de ses amis, qui affichent de plus en plus leur idées racistes et nationalistes. En parallèle, Pauline retrouve Stéphane, son premier amour, et démarre une nouvelle histoire avec lui en ignorant tout de son appartenance a des groupuscules néonazis, et a ses activités au sein de brigades armées et paramilitaires. En s’engageant pour la campagne des municipales, elle devra se confronter aux conséquences de se choix.
Alors autant crever l’abcès de suite, ce n’est ni un feel good movie, et tout est inspirés de faits réels. Voilà. Lucas Belvaux signe un film engagé avec la participation au scénario de Jérôme Leroy (l'auteur en 2011 du livre remarqué Le Bloc qui mettait en scène un parti d’extrême droite), certes, mais aussi un argumentaire puissant qu’il ferait du bien de montrer à tous, jeunes comme vieux, sur la montée du nationalisme et du populisme, les dangers des discours banalisés et dé diabolisé des extrémistes, et les revers de médailles de ces partis.
Il est bien entendu question dans le film du Front National, de Marine Le Pen et de la ville de Hénin-Beaumont. Belvaux commence son film par une longue phase d’exposition, campant le personnage de Pauline, mais aussi celui de Berthier, de Stéphane et des amis de Pauline qui auront tous un rôle dans les différents aspects de l’analyse politique et sociologique qui fait le film. Il ne porte aucun jugement, il les traites tous comme des humains avec des avis différents, des cotés sombres certes mais aussi des cotés positifs, Berthier est un excellent docteur, dévoué et doué dans son métier, Stéphane est un ouvrier consciencieux, et impliqué dans la vie des jeunes, les amis de Pauline sont tous des parents attentifs et ouverts, des amis fidèles, et des gens biens, Pauline elle-même est une bonne infirmière, dévouée à ses patients et ses enfants, qui voit tous les jours les effets concrets de la politique actuelle, les réductions de budgets, le chômage, mais… Mais chacun va être un exemple des différentes facettes de la montée du populisme, du racisme et des partis d extrême droite comme le FN.
Si l’on peut reprocher un style trop didactique à l’écriture, on est forcés de constater que c’en est rudement efficace, on est là moins confrontés à des clichés qu’a des exemples, dans un panel large, histoire de ne pas privilégier ni un aspect ni d’oublier un avis. Le terrain sur lequel est construit le film est glissant, certes mais il y fonde des bases solides répondant à la haine la désinformation et aux clichés par l écoute la compréhension et l amour. J’ai eu un peut peur au début avec la famille musulmane des cités, avant de comprendre que dans la première partie Belvaux nous montre ce que le FN veut qu’on voit, et plus tard dans le développement du film on peut se rendre compte que comme dans tous les clichés, il y a une base réelle, mais aussi de sérieux arguments qui les démontent !


Tout le film est construit comme un argumentaire, intelligent calme, qui montre comment, avec les meilleures intentions du monde, et en ne prenant pas garde au chant des sirènes, on peut céder à la facilité avant de se retrouver embrigadé, formaté, assimilé par une machine bien huilée, experte en propagande et en formatage. J’ai eu des frissons en voyant certaines scènes, d’une violence beaucoup plus insoutenable que de simples images de matraquage ou de combat, qui montre avec quelle facilité ces partis et groupuscules exposent leurs idées, manipulent les gens avec leurs propres arguments, et les rééduquent pour en faire des petits soldats, « disciplinés et obéissants » et comment, les gens éblouis par les belles paroles, la ferveur patriotique et la poudre aux yeux deviennent une masse informe asservie à une élite bien moins méritante qu’eux.
Ce film est médusant, de simplicité, de construction intelligente, il liste les problèmes de société actuels, la montée du nationalisme, de la radicalisation des jeunes, et une première à ma connaissance des aspects web de la propagande, avec les réseaux sociaux, les sites de désinformation et les chaines de partage virales. Le passage de formation des militants donne le tournis. Il pointe du doigt la radicalisation sans condamner les gens, ni les excuser, juste expliquer. Je trouve cela très intelligent, il ne braque personne, et malgré les dires de Florian Philippot il ne caricature pas le FN, mais analyse et décortique son fonctionnement.
Le vice-président du FN, Florian Philippot déclare dans l'émission Grand rendez-vous Europe 1-iTélé-Les Échos diffusée le 1er janvier 2017 que ce film est selon lui « absolument inadmissible » en raison de son sujet et de sa sortie programmée peu de temps avant l'élection présidentielle de 2017. « On est à deux mois de l'élection présidentielle. Les films français sont financés par le contribuable français, donc en partie par beaucoup d'électeurs du Front national [...] Nous trouvons cela absolument inadmissible. Peut-être faudrait-il mettre le budget de ce film sur les comptes de campagne de nos adversaires. Je ne plaisante même pas en disant cela », ajoute-t-il. Steeve Briois, le maire FN d’Hénin-Beaumont, publie un tweet désobligeant : « Pauvre Marine Le Pen, qui est caricaturée par ce pot-à-tabac de Catherine Jacob. Un sacré navet en perspective »Wikipédia
Il nous prouve que certes le parti à changé, sur la forme, mais que le fond est là, et que son passé n'est pas très loin, ni les détournements d’argent, ni le racisme éhonté, et encore moins la violence extrême, que ce soit par les mots, comme avec le personnage de Berthier ou Dorgelle ou avec la violence physique comme avec Stéphane. Ce sont les deux facettes d’une même pièce, et il est dangereux d’en ignorer la totalité.
Certains personnages, comme l’amie militante gauchiste, Djamilia la jeune de cité méritent des paquets de cookies tant leur réponses aux agressions et a la stratégie du FN sont posées et intelligentes, elles font du bien et véhiculent un message d’amour avent tout, le père de Pauline lui est le discours inénarrable du vieux militant « qui ne pensait pas devoir encore se battre contre ça » ils ne donnent pas la bonne parole contre le FN mais un contre argumentaire étayé et une réponse pacifique là où le parti politique se noie dans sa propre violence.
Du point de vue technique, même si le film est didactique et militant il n’en n’oublie pas pour autant le langage du médium qu’il a choisi, le montage en parallèle par exemple est fabuleux, rendant les expositions et les arguments limpides, les cadrages et les métaphores, et une mention spéciale au son avec des détails de fous, dans les métaphores de documentaires en arrière fond sonore ou d’interview de Zemmour sur le sujet…et un placement particulièrement judicieux du Roi des Aulnes de Schubert du texte de Goethe dont la métaphore dans le film est toute limpide.


Le Roi des aulnes ( Erlkönig en allemand ) est un poème de Johann Wolfgang von Goethe écrit en 1782. La créature évoquée dans le poème est un Erlkönig (roi des aulnes), personnage représenté dans un certain nombre de poèmes et ballades allemandes comme une créature maléfique qui hante les forêts et entraîne les voyageurs vers leur mort.
Par une nuit d'orage, un père chevauche, à travers une forêt sombre, avec son jeune fils dans ses bras. L'enfant croit voir dans l'obscurité la forme du roi des aulnes et il est effrayé. Le père calme son fils : ce qu'il voit n'est seulement que "le brouillard qui traîne". Mais la figure fantomatique ne quitte pas l'enfant. Avec un discours persuasif, le roi des aulnes invite le "gentil enfant" à venir dans son royaume pour se distraire avec ses filles. Mais l'enfant est agité. Encore une fois le père essaie de trouver une explication naturelle à ses hallucinations: ce ne serait que le bruissement des feuilles et le reflet d'arbres centenaires. Mais la vision est plus menaçante, et le fils est pris de panique. Lorsque le roi des aulnes finit par saisir l'enfant, le père perd son sang-froid et essaie de galoper aussi vite qu'il peut pour atteindre la ferme. Mais il y arrive trop tard : l'enfant est mort dans ses bras.


De même les acteurs sont tous fabuleux, dans leurs jeux, loin du caricatural mais plutôt dans le contre emploi, tel Catherine Jacob éblouissante en Le Pen, ou Dussolier, le fait de prendre des acteurs pour la plupart comique ou populaire renforce cette idée de proximité et le procédé d’identification. Ils font tous une performance incroyable et on sent les rôles à césars dans le tas.
Pour conclure, ce film est plus qu’un film, comme La Sociale il est la pour informer et aurait sa place en cours et partout pour aider les gens à analyser le discours politique en général en ces temps de grandes élections. S’il dépasse parfois le cadre du film classique pour aller dans le sens de l’argumentation c’est toujours pour servir son propos et amener une réflexion, loin du jugement, il demande par contre parfois une certaine connaissance des faits, et donc une certaine culture à son spectateur ce qui peut être contradictoire avec son but. il en reste un grand film de ce début d’année, même si je comprend la polémique dans la presse, car mal interprété, il peut faire penser à une apologie, pour le FN, il ressemble à une mise à mort. Il en reste essentiel, allez voir Chez Nous.

FannyGiordano
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le 5 mars 2017

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