Reconstruire le passé, voilà la tâche ontologique, plus que déontologique ou éthique du détective Gittes (le, comme souvent, très bon Jack Nicholson). Ce qui sera loin d'une tâche simple à réaliser, et ce malgré sa grande perspicacité et son flair inégalable. En raison surtout du génie d'un Polanski qui brise ce passé en des fragments (presque) irréconciliables.
Oublie, Gittes, c'est Chinatown, dit Walsh à son boss. Ce n'est qu'à la fin que le spectateur saisira la teneur de ces propos que des volutes vagues et mystérieuses auraient pu accompagner avant de se dissoudre dans la nuit. Car le génie de Polanski, qui s'essaie ici à à un nouveau genre de film pour lui (et à un nouveau de film de genre: le film noir), ne montre au spectateur que les débris d'une mémoire fragmentée qu'il ne peut saisir dans sa totalité pour le conduire peu à peu parmi des miasmes où le vice innommable gît à l'état de putréfaction. Voilà le plaisir sadique de ce "déconstructeur" qui nous dépeint un monde impénétrable que l'on croit parfois comprendre mais dont la vérité ne fait que nous échapper. Et lorsque nous la saisissons, nous nous en détournons, préférant ne pas la regarder dans les yeux (en référence à la scène finale). Il n'y a guère que ce personnage secondaire (dont nous taisons le nom, au cas où vous liriez cela avant visionnage) qui osera le faire. Parce que c'est lui le passé, c'est lui qui a écrit le passé, et c'est lui qui en plus de détenir le présent, en homme éternellement insatisfait, veut posséder le futur. Peu importent les moyens d'y parvenir.
Ainsi s'explique le film, ainsi convergent ces luttes pour le pouvoir, dans cette quête ontologique où chacun se dispute le Temps, comme s'il s'agissait de la femme à posséder.