Christine met en scène Arnie Cunningham -merveilleusement interprété par le jeune Keith Gordon que nous avons vu dans le Pulsions de Brian de Palma-, un adolescent timide et mal dans sa peau qui vit un véritable enfer au lycée puisqu'il est malmené à longueur de journée par une bande de petites teignes menée par l'impitoyable Buddy. Arnie n'a qu'un seul véritable ami, c'est Dennis (interprété par John Stockwell), qui s'avère être de surcroît son exact opposé: il est l'archétype du lycéen sportif et bien dans ses pompes, plutôt beau gosse et sollicité par les filles. Tout ce qu' Arnie n'est pas!
Mais un jour, tout bascule...Arnie flashe en apercevant la carcasse de Christine, une Plymouth Fury de 1958 qui trône à l’abandon dans le jardin d’un inquiétant garagiste, qui a d'ailleurs des tendances psychotiques. Et là, c’est le coup de foudre. Arnie devient obsédé par cette voiture et prend l’initiative de l’acheter pour la retaper et la rendre à nouveau flambant neuve. Et il y parvient: il transforme la vieille carcasse mécanique et rouillée en splendide voiture couleur rouge et ivoire qui attire les regards et qui, par son pouvoir démoniaque, subjugue l'esprit d'Arnie et exerce sur lui une emprise machiavélique... Car plus Arnie passe de temps avec Christine et plus sa personnalité change : de jeune timide et mal dans sa peau, Arnie se transforme en homme sûr de lui : il sort avec la jolie et naïve Leigh Cabot, une des plus belles filles du lycée qui a quand même refusé de sortir avec Dennis !
Christine est autant un film d’horreur qu’un « teenage movie » dans la mesure où ce qui intéresse John Carpenter, c’est ce douloureux passage de l’adolescence à l’âge adulte, où le jeune, en sortant de sa chrysalide, va devenir un personnage quasiment étranger aux yeux de ses proches, et notamment un étranger pour sa famille qui ne le reconnaît plus. Voir par exemple l’excellente scène du repas en famille où Arnie agresse physiquement son père, ce dont il aurait été incapable au début de l’intrigue..
John Carpenter -dont le génie dans la direction d'acteur est incontestable- va laisser Keith Gordon faire preuve d'improvisation dans une des scènes du film que je trouve les plus fortes émotionnellement (et il y en plusieurs!) : son personnage explose d'une rage soudaine suite à cette horrible découverte et il insulte sa petite amie ; son accès de rage est d'autant plus convaincant et réaliste lorsque nous voyons Leigh sursauter à l'écran et l'actrice Alexandra Paul a avoué qu'elle a réellement sursauter de peur, ne s'attendant pas à ce que Keith Gordon explose de la sorte – le parti-pris du cinéaste de conserver cette scène de sursaut à l'écran augure une séquence émotionnelle puissante et très réussie.
La séquence mettant en scène la « résurrection » de Christine fait partie de mes autres séquences cultes du film : dans une quasi obscurité, Arnie vient se placer face à la voiture, les phares de Christine éclairant son visage et mettant ainsi en lumière son regard empli de désir qu'on peut sans nul doute qualifié de « désir sexuel », et lui dit « Show me » : « montre moi », et dans une mise en scène que je juge la plus sensuelle du film, la voiture se répare lentement d'elle-même sous nos yeux de spectateurs stupéfaits, et sous celui ébahi d'Arnie – les trucages sont très simples puisque les plans où l'on voit les tôles de la voitures écrabouillées et ses verres brisés ont été simplement montés à l'envers, donnant l'illusion que Christine se répare d'elle-même. Effet simple et efficace à l'écran.
C'est le regard d'Arnie par rapport à la métamorphose progressive de la voiture qui nous fait prendre conscience que plus qu'une admiration, c'est un véritable amour qu'il voue à sa voiture et à aucun moment dans le film, il n'aura un tel regard pour sa petite amie.


John Carpenter fait parti de ces cinéastes spécialistes de la représentation des scènes de nuit dans le cinéma d'épouvante – la nuit, dans l'imaginaire collectif des cinéphiles, représente ce moment angoissant où tout peut surgir dans le cadre, que ce soit d'horribles monstres ou des tueurs fous – surgissement dans le champs de la caméra d'une source d'angoisse qui était tapie en hors-champs et qui permet de susciter la terreur chez le spectateur friand de sensations fortes.
Ça renvoie à la « peur du noir » que beaucoup de spectateurs ont pu éprouver pendant leur enfance – le cinéma agissant comme une sorte de régression infantile touchant au plus profond de nos peurs primaires – (Dans la filmographie de Carpenter, on pense bien évidement à Halloween la nuit des masques, Fog ou encore à quelques scènes noctures effrayantes dans L'Antre de la folie).


Le format Scope enregistre les scènes nocturnes du film d'une beauté terrifiante, les panoramiques et les travellings assurant un effet réaliste qui ne fait que renforcer le sentiment de terreur : il faut voir cette séquence du parking filmée de nuit où Christine, telle une prédatrice mécanique, poursuit le premier adolescent de la bande de malfrats s'achevant dans un terrifiant face à face où le jeune type, dans sa fuite effrénée, va se retrouver acculer à un mur...
Autre séquence où Christine se lance à la poursuite de Buddy sur une route déserte / une scène très stylisée où la voiture enflammée poursuit le jeune homme dans une bande-son hypnotique, véritable scène de cauchemar. L'image de la voiture enflammée continuant de rouler évoque toute la puissance démoniaque de Christine, qui apparaît comme une voiture surgissant des flammes de l'Enfer.


Avec Christine, John Carpenter livre à la fois un teenage movie sensible, avec la représentation d'un adolescent mal dans ses pompes et victime de harcèlement scolaire qui prend sa revanche au contact de la belle et dangereuse Christine – ainsi qu'un film d'horreur efficace dans son scénario et maîtrisé grâce à ses effets de trucage ; l'un des meilleurs films de genre des années 80 et je rajouterai aussi l'une des meilleures adaptations de Stephen King au cinéma.

No_Mie_Ramone
10
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le 13 oct. 2017

Critique lue 280 fois

Noémie Fisher

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