- Hey Sam, pendant ma cinquième méditation phallique, j'ai eu l'illumination de ma vie. Un film taillé pour toi, comme les costards de Grey.

- Ha ?

- Car Cinquante nuances de Grey tu adapteras. Le scénariste de Bob l'éponge tu engageras. Le directeur de la photographie d'un téléfilm de France 3 tu enrôleras. Et pour couronner la sainte trinité, avec les Fist'studios tu travailleras.

- Ton idée me fait jouir d'avance...

- Et attends, tu n'as pas encore tourné les plans de ta protagoniste se mordillant les lèvres, à la sauce Twilight.

- Ma cravache frétille ! Ma caméra mouille !

- Un peu de sérieux, Sam, ta mission est grande, l'humanité compte sur toi. Tu auras à réaliser le film le plus abject et nauséabond de l'histoire du cinéma, porté par une telle verve misogyne que toutes les violences conjugales paraîtront légitimes au sortir de la salle. Tu devras peindre la domination masculine dans sa virilité la plus crasse, et l'asservissement de la femme jusque dans les moindres recoins d'une salle de bondage.

- Les tribulations SM, moi ça me branche carrément, c'est trop hipster, ça sent la Fistinière !

- La Fistinière, tu plaisantes ?! Non, à la Fistinière, on prend du plaisir mutuel et consenti, c'est démocratique, c'est même communiste. Dans ton film, il faut du chantage, du consentement forcé, la jouissance si excitante d'asservir le corps féminin.

- Ce projet me rend dingue !...

- C'est parce que Christian Grey est le pivot sur lequel tournent toutes les boules de Geisha. Là aussi, la quête est rude et grande : faire de lui une figure si autoritaire et despotique qu'il renverra une bonne fois pour toute Hitler (point Godwin, yes !) et Pol Pot au rang des personnalités sympathiques. Mais en plus de ça, il devra incarner jusque dans sa chair l'homme néolibéral, maître de lui, des autres, de ses actions, un infâme cynique dont la réussite ne doit évidemment qu'à lui-même. Bah ouais, si t'as pas un hélicoptère à 40 ans, t'as raté ta vie... Comme Anastasia n'a pas, elle n'est pas. Il faut donc la combler, l'acheter, formater ses désirs ; avec son vieux téléphone à clapet pourri, elle doit bien envie d'avoir un Mac Book ! Elle doit bien rêver d'une nouvelle caisse pour son diplôme !

- Je cerne totalement le délire. Avant d'enfiler ses gants en latex et d'exhiber son martinet pour se défouler d'une journée trop compliquée, Grey prendra bien le soin de l'emmener faire un tour en planeur, histoire de mieux faire passer la pilule. J'imagine qu'ensuite, rien de bien méchant, juste deux ou trois coups de cravache dans le dos. La souffrance, après tout, ça n'est toujours que psychologique !

- Tu commences vraiment à piger, t'es la réalisatrice qu'il nous faut. Mais dans toute cette affaire, n'oublie pas de doter Grey d'un GPS doublé d'un radar intégré aux testicules, c'est toujours plus pratique pour retrouver sa soumise aux quatre coins de la ville, surtout quand on ne sait pas dans quel bar elle se trouve (!). On veut que ça dégouline de harcèlement, que Monsieur donne la fessée à Mademoiselle quand elle lui cache quelque chose, c'est tellement... XXIe siècle ! Et comme c'est une relation bien capitaliste, bien contractuelle, il ne faut pas oublier à quel point l'idéologie néo-managériale s'immisce dans toutes les sphères du privé : il faudra veiller à ce que cette relation repose sur un contrat écrit, mais qui ne sera jamais signé, cela va de soi. L'article 352 alinéa 13 était pourtant sympa : on marchande une soirée au cinoche contre un plug anal, ou un coup de godemichet... Au royaume des sados, donc, on fait du troc, la main du grand Adam Smith n'y est pas invisible, du tout, tu la sens bien profondément. Mais bon, contrat ou pas, on s'en fout, si Dieu n'existe pas, tout est permis comme disait l'ami Dosto'.

- Par contre, pour Anastasia, je suis franchement à court d'inspiration.

- Là non plus, c'est pas bien compliqué. Anastasia est la réincarnation de Oui-Oui, elle ne dit non à rien, ou alors elle fait semblant cinq secondes, car c'est marrant de tenir tête (un peu, un tout petit peu) à un homme. Et c'est toujours plus marrant de se faire punir ! Sa défloration doit, selon les mots de Grey, venir "rectifier la situation" - à ce stade là, on parle bien d'une pathologie, hein ! C'est pourquoi elle doit être aussi passive qu'un Magicarpe dans Pokémon, aussi charismatique que François Hollande, et aussi esclave au lit qu'on ne l'était dans un champ de coton du Sud américain.

- ... D'accord, mais elle aime Grey, alors ça justifie absolument tout !

- Tu es vraiment un génie, je le disais, tu as tout compris à la vie.

- Et pour la sortie du film, on pourrait prévoir un super-méga-giga événement ?

- Bien sûr, on pourrait même inviter les Femen à la projection, avec des cocktails "seins nus on the beach" à gogo, et last but not least, on pourrait négocier DSK en conférencier honoraire.

- Je signe !
Yananas
1
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Pérégrinations cinématographiques en 2015

Créée

le 17 févr. 2015

Critique lue 866 fois

12 j'aime

2 commentaires

Yananas

Écrit par

Critique lue 866 fois

12
2

D'autres avis sur Cinquante Nuances de Grey

Cinquante Nuances de Grey
Socinien
3

Viol en réunion

100 millions d'exemplaires vendus, un matraquage depuis des mois à coup de rumeurs de tournage, une omerta de la critique journalistique avant la sortie officielle, un soupçon de souffre et...

le 12 févr. 2015

362 j'aime

78

Cinquante Nuances de Grey
blig
2

Le loup de Balls Street

Conversation téléphonique longue distance Seattle-New-York, une nuit chaude et électrique du mois de mai, entre un maître dominateur et son élève : Maître, Anastasia est partie... La pute...

Par

le 15 févr. 2015

278 j'aime

25

Cinquante Nuances de Grey
Voracinéphile
2

Cuir ou salopette ?

J'enfonce ma carte dans le distributeur. Les portes s'écartent devant moi. Une forte odeur de bourgeoise envahit mes narines. L'éclairage tamisé révèle des rangées de fauteuil d'un rouge affriolent...

le 13 févr. 2015

182 j'aime

27

Du même critique

Vice-versa
Yananas
10

Être ou ne pas être telle est la question sinusoïdale de l'anachorète hypochondriaque

Véritable feu d'artifice visuel, Vice Versa est une œuvre à savourer avec le même entrain qu'une exquise confiserie qui laissera sur notre palet un arrière-goût aussi durable que ne l'est un souvenir...

le 23 juin 2015

25 j'aime

8

La Parole
Yananas
8

Dans la famille Borgen, je voudrais le Christ

Nul autre réalisateur que Dreyer n'a posé avec autant d'acuité et de profondeur la question de la foi, à tel point qu'Ordet eût mérité moins un Lion d'or qu'un Crucifix d'or. Dans ce classique du...

le 8 nov. 2013

20 j'aime

4

Les Frères Karamazov
Yananas
10

Réveiller le Karamazov qui sommeille en nous

Ecrire une critique des Frères Karamazov relève de l'impossible ; se livrer à cet exercice reviendrait à passer pour une sorte de Tartuffe, un coupeur de cheveux en quatre, ou à tout le moins pour un...

le 23 févr. 2014

19 j'aime

8