Citoyen d’honneur est une sympathique comédie caustique, traitant de la place de l’artiste dans la société, de son rapport avec la célébrité, ainsi que des liens poreux qui séparent la fiction et la réalité.
La première scène donne le ton : un écrivain, Daniel Mantovani, reçoit en grande pompe, le prix Nobel de littérature. Il effectue un discours quelque peu discordant pour la circonstance, puisqu’il déclare qu’il considère cette récompense comme un enterrement de première classe de sa vie d’auteur, car explique-t-il, un artiste se doit d’être subversif et recevoir ce prix prouve qu’il est désormais récupéré par le système, qu’il ne dérange plus. Il y a alors un silence, qu’on peut tout d’abord prendre comme une marque de désapprobation de l’assistance, mais qui en fait correspond au délai de traduction de son speech . Après quelques secondes, il sera chaleureusement applaudi par l’assemblée. Cette scène illustre bien la situation de l’écrivain dans ce film : en décalage.
Ce prix Nobel de littérature, qui refuse par ailleurs quantité de sollicitations de tous les endroits du monde, accepte de revenir dans son village natal, passer 4 jours pour faire 2 ou 3 conférences, présider le jury d’un concours de tableaux d’artistes locaux et surtout, être nommé citoyen d’honneur de la petite bourgade de Salas.
Toute son œuvre avait pour décor ce même village (On pense à Garcia Marquez) qu’il a quitté il y a 40 ans, quand il avait 20 ans. C’est un bled perdu au fin fond de l’Argentine, où la population rurale possède une forte proportion d’abrutis. Ceci dit, même si ces "ploucs" sont caricaturés, le trait n’est pas outrageusement forcé et ils restent tout à fait crédibles, sans paraître complètement ridicules.
Il y a donc un décalage entre cette personnalité de la littérature mondiale et ce lieu reculé, d’où justement il a réussi à s’extraire dans sa jeunesse, qui est intéressant et drôle. D’autre part, dans ses romans il a précisément décrit les habitants comme des arriérés et bien que la quasi totalité n’ait pas lu son œuvre, il y en a un en particulier qui n’est pas content de son retour et qui ne va pas tarder à le lui faire savoir.
Lorsqu’il était parti, il avait également laissé son amoureuse de l’époque, qui est toujours au village. Elle ne lui en veut pas, mais son mari (un ami d’enfance) un homme rustre, volontiers porté sur l’alcool, l’invite à venir manger chez eux. Il se montre au départ, très jovial, mais petit à petit son comportement devient plus inquiétant.
Ensuite, l’histoire évolue, avec ironie, en une peinture de l’hypocrisie sociale qui règne dans une petite ville de province, pour finalement déboucher sur une sorte de thriller rural cauchemardesque.
Si les deux premières parties sont intéressantes, le basculement vers l’horreur est moins convaincant et pas assez intense pour être vraiment palpitant.
C’est dommage, parce que le schéma fait penser à un autre film argentin, Les nouveaux sauvages, et on se prend à imaginer ce qu’aurait pu donner le film s’il était allé plus loin dans la démesure.
Reste un film plaisant, qui a obtenu le prix d’interprétation à Venise, pour Oscar Martinez.
Note : 6,5