Après La pointe courte, plein d'audace antonionienne, Varda signe avec un budget réduit mais des idées fourmillantes Cléo de 5 à 7, dont la forme moderne très nouvelle-vague est enrichie d'un regard nouveau sur la femme, le tout englobé dans une réflexion sur le paraître et la vanité de l'être.
La forme moderne, osée pour l'époque, fortement inspirée par l'élan de la nouvelle vague (Varda fréquentait Godard [et tous les autres aussi bien sûr], qu'on voit d'ailleurs dans cet assez ridicule court-métrage inséré dans le film – qu'on peut retrouver aussi dans son dernier Visages, Villages, avec une anecdote personnelle en bonus) qui ne l'oublions pas venait s'opposer à l'académisme des Clouzot et consorts, se révèle être la caractéristique principale du film. En quoi consiste-t-elle concrètement? D'abord la volonté de (presque) fondre temps diégétique et durée du film vient interroger et remettre en question l'inscription du récit dans un temps artificiel, prétendant ainsi se rapprocher d'une réalité non transformée, retranscrite telle quelle comme dans un documentaire. Ensuite la mise en scène: les longs travellings latéraux et arrières, les prises de vues surprenantes, les monologues intérieurs (avec sa propre voix parfois), l'excellent cadrage des visages et les gros plans qui les accompagnent, le tournage en pleine ville en «conditions réelles» (influence du style documentaire toujours), ... démontrent la fougue créatrice et féconde d'une Varda qui ose et étonne non seulement pour se démarquer techniquement mais aussi renouveler les canons de la beauté. Enfin l'incorporation de la ville dans l'histoire, faisant ainsi de Paris un personnage, secondaire certes quoique omniprésent, prouve la volonté de Varda d'extraire du transitoire et passager ce qui dure et résiste au temps, c'est-à-dire ici la forme d'une ville, ses places, ses jardins, ses cafés, ses taxis et son accent populaire, ses chapeaux et ses chansons, ses modes.
La position pro-femme, l'adoption du point de vue d'une femme avec un vrai regard de femme, le parti pris en faveur de celles-ci, tout cela relève également d'une démarche nouvelle, libre, libérée et libératrice. Il ne faut pas oublier qu'Agnès Varda est l'une des premières réalisatrices et qu'elle ne cessera jamais de défendre ses paires en étant leur porte-parole. Néanmoins, son discours ne peut pas être considéré comme féministe pour autant, plutôt une dénonciation subtile quoique claire d'une société dominée par les hommes à travers leur regard, leur sensibilité, leur jugement, leur pouvoir (voir le dialogue avec Bob, le musicien, Michel Legrand en personne). Derrière cela vient se glisser une réflexion sur une société du paraître dans laquelle la femme est emportée malgré elle, où elle se laisse aller s'abandonnant au courant avant de se débattre lorsqu'elle se rend compte que tout n'est que frivolité et vanité face au spectre de la mort. La mort hante en effet le film et l'esprit de Cléo, cependant Varda ne voulant pas de fin tragique clôt sur la possibilité d'un véritable amour, total et fusionnel, faisant dire non sans pathos (et là, le mélo s'invite fatalement) à Cléo «Il me semble que je n'ai plus peur. Il me semble que je suis heureuse» alors qu'on vient de lui confirmer (spoil) qu'elle a le cancer. Malgré cela, il nous semble que Varda ne parvient pas vraiment à esquisser de vraie réflexion construite et structurée, suffisamment développée, auto-suffisante mais demeure plutôt assez superficielle dans le traitement de cette question fondamentale (alors que, plus ou moins à la même époque, sur la même thématique, Pietrangeli faisait nettement mieux avec son Je la connaissais bien). De même, sa mise en scène relève parfois plus de l'exercice de style, de la démonstration que d'une éthique personnelle. Dommage pour celle qui excelle dans le style documentaire où sa sagesse et son art de la photo trouvent leur forme adéquate.
6,5/10