Bon alors d'abord, comment se faire dérouter: Un générique de fin qui arrive au bout de deux minutes. Une succession d'interviews très courtes sur une vieille télé mais avec tellement de gens que ça en devient très long. On a bien eu le temps de lire tous les noms sur l'étagère et on s'attend donc à du rouge, du qui fait peur, mais intello. Si on connaît Gaspard Noé, on craint ce qui nous attend, encore plus si on a remarqué l'interdiction aux moins de seize ans à l'entrée (comme tous ses autres films). C'est assez rare de nos jours. Quand on va au moins de seize ans, c'est que le film pousse le bouchon. Avouons que c'est aussi pour ça qu'on y va.
Arrive ensuite le cinéma, scène de danse interminable mais dans un plan séquence techniquement parfait et un peu m'as-tu-vu. Et la fête commence. Dans le même plan. Pas d'histoire, quelques enjeux de personnages, mais c'est surtout pour faire des figures avec la caméra. Et puis ça coupe. Ça parle. Beaucoup de vulgarité inutile, mais le principe est là. Quand les plans fixe cut sont là, le groupe n'est plus uni, ce qui se ressent dans les dialogues. Il y a un propos, une monade de société à travers ce groupe de danseurs. Ensuite encore un générique qui arrive comme un caprice de gamin et puis l'enfer.
Gaspard Noé nous fait son Enfer. De Dante et de Jérôme Bosch. Son Apocalypse de Jean. Et ça le fait kiffer. Oui, Climax ça veut dire orgasme, aussi. Et il y arrive bien. Il nous colle à des personnages devenus débiles et hurlants. Il nous tourne tellement dans le rouge, le décadrage, la surenchère de hurlements, de violence, de corps tordus, qu'on en oublie les grosses incohérences et qu'on est obligés à cette expérience "extraordinaire", horrible, même si on en perçoit tous les artifices. L'organique de ses plans séquences, l'omniprésence de la musique trop forte, tout ça donne un côté fonctionnel sensitif à sa mise en scène qui affirme qu'il n'y a rien à raconter et nous confirme les mauvaises intentions du réalisateur. Il veut jouir en nous faisant souffrir, pour nous balancer des phrases bateau en grosses lettres. Mais, qu'on rejette ou qu'on adhère, on est obligé aux sensations. Et il y a peu de réalisateurs qui arrivent à ça.
Il faut tenter de ne pas laisser le cerveau se réactiver après la séance au risque de voir toute plausibilité de ce truc s'effondrer comme un château de neige au soleil. En plus toutes les fausses notes de jeu, de comportements des personnages et de temporalité vont vous déferler au visage.
Gaspard Noé ne compte pas changer, et c'est bien ce que je lui reproche. Pourquoi, avec le talent qui est le sien et les sujets qui sont les siens ("du sang du sperme et des larmes"dit-il dans LOVE), ne fait-il pas des films en sympathie avec son spectateur ? D'autres savent traiter de sujets durs et nous en parler. Lui est un virtuose freejazz soliste de la caméra, il y aurait des chefs-d'œuvre à faire. ENTER THE VOID était brillant dans son idée et bien mené. Mais pourquoi faut-il que l'âme qui s'envole se ballade dans le glauque, le rouge sang, l'abjecte, le sexe forcé ? Monsieur a décidé de nous rappeler en permanence qu'on est des créatures stupides, capables de vie que par la violence, que la mort c'est mieux que la vie, et il veut simplement nous malmener. C'est gentil de ta part, mais on a la vie, à côté, pour ça, nous. On n'est pas tous des merdes dans nos fauteuils massants en cuir, on n'a pas tous besoin de se faire secouer.
En revanche, si CLIMAX va plus loin que les films d'avant, il le fait avec beaucoup moins de recours au sexe explicit et à la violence graphique. Preuve que, malheureusement ou heureusement, Gaspard Noé repousse toujours plus haut le sommet de son art. De même, il arrive, juste avec un hôtel miteux et vingt personnes, à nous plonger dans l'iconographie de l'enfer. Sans chaînes, sans griffes, sans dents, sans cornes, et presque sans feu.
Il y a là un artiste qui sait utiliser l'expression du cinéma de façon optimale, pousser le ressenti à son maximum pour nous livrer un film carrément physiologique. Mais c'est au mépris de son spectateur.
"Le côté obscur est le plus fort ?"
"-Non. Plus rapide, plus facile, plus séduisant."
Quand Gaspard Noé aura poussé le ressenti à ce point pour autre chose que de l'abjecte, je crierai au génie.