Avertissement : il y a de grandes chances que ces quelques lignes vous dégoûtassent à jamais de voir ce film. En outre ce sera un "spoiler" parce que bon quand même, c'est tellement du foutage de gueule qu'on peut bien l'éventer un peu, ça vous fera gagner 10€ et 3h. Vous voilà prévenus.

Cloud Atlas donc, soit le dernier né des Wachowski, ici en collaboration avec le réalisateur du über cool Rennt Lola Rennt. Je suis plutôt un fan de Matrix - film générationnel, révolution technique, et malgré une propension à partir du 2 à la philo de comptoir, une histoire plutôt novatrice et assez dingue. Je n'ai pas vu Speed Racers. J'étais moyennement emballé par Cloud Atlas : je sentais la grosse machine à la fois splendide et hideuse, intéressante et creuse comme une coquille abandonnée par son mollusque. Damn, I was so right.

Il serait ici utile de défricher le projet fumeux du film et de dénouer les 6 fils narratifs un par un, afin de démontrer simplement en quoi la simple idée du film est un énorme cache-misère, un odieux attrape couillon. 6 films imbriqués, entre lesquels on zappe comme avec une télécommande schizophrène.
* SPOIL SPOIL SPOIL*
- XVIII-XIX siècle : un aventurier aux Amériques découvre l'abomination de l'esclavage. Il est joué par Jim Sturgess. Un cupide escroc lui fait croire qu'il a un ver qui lui ronge le cerveau et qu'il va mourir pour mieux l'empoisonner (Jim Broadbent). Il aide un bel esclave à devenir marin respecté. Il tient un journal de bord et de sa maladie. Hugo Weaving joue un méchant à la fin. Bae Doona joue... une irlandaise rousse et bridée ? Bon. Pas l'histoire la plus catastrophique des 6. Pas la plus passionnante non plus, surtout si on comprend dès la mention du "ver polynésien" que le mec n'a rien. Une scène impressionnante (la voile). Final ridicule. Genre(s) : film d'aventure, film en costumes / historique.
- 1936 : un jeune compositeur homosexuel (Ben Whishaw, sexy en diable) considéré comme un dépravé, fuit pour devenir copiste d'un vieux compositeur célèbre en panne d'inspiration. Broadbent joue le compositeur, Halle Berry, méconnaissable, une jeune femme juive, et Hugo Weaving ? Un méchant nazi, boudiou ! Fil inégal, de beaux moments d'émotion, belle relation homosexuelle, charnelle ce qu'il faut, très belle fin romantique. Mais des moments ridicules entre les deux compositeurs et des poncifs sur l'art, la création, la liberté, l'amour. Le compositeur, Frobisher, lit le journal de bord de l'explorateur malade et compose un sextet / symphonie "Cloud Atlas" qui donne son nom et sa musique au film. L'amant transi s'appelle Sixsmith. Jolie musique par ailleurs. Genre(s) : mélodrame, film en costumes.
- 1973 : une jolie journaliste black - Halle Berry, dans son meilleur rôle du film - découvre une histoire louche sur le trafic des énergies nucléaires, qui risque de détruiiiire le monde. Sixsmith, devenu vieux, lit encore les lettres de son amant, et travaille pour la compagnie nucléaire véreuse. Il se fait zigouiller mais parvient à transmettre les dossiers et les lettres d'amour à Halle Berry. Tom Hanks joue un gentil niais et meurt. Weaving joue.... un méchant tueur ! (Vous commencez à comprendre pourquoi ce film est débile ?) Grant joue le grand méchant manitou. Ca finit bien. Sixsmith avait une nièce asiatique (tiens tiens - oh wait ?), Berry écoute "Cloud Atlas" et lit les lettres de Frobisher. Genre(s) : thriller, polar, drame.
- 2012 : Jim Broadbent joue Cavendish, un éditeur minable qui trouve le succès parce qu'un de ses auteurs assassine brutalement un critique (scène curieuse). Il se retrouve dans la merde et son frère, richissime et rancunier, le fait enfermer dans une maison de retraite où une nurse diabolique (HUGO WEAVING, nan mais sérieux ?) maltraite tout le monde. Grant joue le méchant frère, Weaving se ridiculise en parodie de Vol au dessus d'un nid de coucou, Sarandon cachetonne en silence. Et Halle Berry doit bien traîner quelque part sous une tonne de prothèses. A sa sortie spectaculaire de l'asile, Cavendish aura droit à un film narrant ses aventures. Cette histoire ne sert à rien. C'est le fil d'emblée le plus navrant (ou presque, car il y a piiiiire !) mais du coup c'est celui qui reste stablement mauvais donc pas décevant et parfois drôle. Genre(s) : thriller, comédie.
- XXII siècle (je crois), New Séoul. Première trame de SF, très dystopique et anticipation. On pense énormément à Matrix et à pas mal d'autres films du genre (j'y reviendrai). Bae Donna joue une serveuse de sous caste programmée qui s'échappe grâce à un révolutionnaire (Jim Sturgess). Devinez quoi ? Broadbent, Grant et
Weaving jouent les méchants ! Hanksjoue l'acteur qui joue Cavendish dans le film tiré de sa vie. On se farcit une réplique en boucle de la bouche de plusieurs personnages. Le fil séduit beaucoup au début par son intrigue (machination, tout ça), par son esthétique futuresque un peu kitsch mais pas désagréable. Puis ça tourne aigre avec le message philosophicouille de mes deux, des effets spéciaux franchement laids et du plagiat à tout va. Fil très décevant malgré sa violence et ses promesses. La serveuse s'appelle Soonmi ou un truc du genre. Elle devient martyr de la résistance, qui est écrasée. Genre(s) : SF, anticipation, romance.
- futur lointain, quelque part. Des ploucs paysans sur une île paumée sont aux prises avec des cannibales peinturlurés. Weaving joue ... je vous laisse deviner (indices : c'est un diable, c'est une hallucination, ce n'est pas gentil), Berry est cruche au possible, Hanks est NAVRANT en demeuré sauvageon qui parle un langage ridicule et a des hallus dans la forêt. Le choc de trois cultures aux costumes différents est ignoble, on dirait que Xena la guerrière a croisé Stargate et a eu des enfants avec. Bref, le pire fil narratif, du début à la fin - celui le plus involontairement drôle aussi. Les sauvages vénèrent la déesse Soonmi (ah !ah ! aaaargh...). Genre(s) : EUH ? Séries télé des années 90 ?

Bon voilà pour le film. Oui, c'est tout. Je ne parle pas des multiples incohérences, le montage en zapping est là pour les dissimuler, ou pour rendre une histoire banale "intéressante" sur le mode "ah ah vous m'aviez oubliée mais je suis encore làààààà" Bref, le film se la joue malin : regardez comme on est fort et intelligent, on montre 6 histoires à la fois et elles ont des liens ! Enfin si un peu quand même... non ? Bon tant pis. Bref, un attrape nigaud destiné à faire croire au spectateur lambda qu'on ne le prend pas pour un con et qu'on essaie de l'élever, de l'instruire, lors même qu'en fait, on fait juste semblant de faire ça et qu'on le prend doublement pour un con avec des procédés de dissimulations qui relèvent de l'escroquerie pure.

Les liens que j'ai pointés sont les plus évidents et les seuls qui soient diégétiques. Après, le film fonctionne par associations dans le zapping : un thème sera repris, un motif (le pont / le mât par exemple, dans une belle séquence), histoire de donner une apparence de cohésion, un aspect un peu plus ludique au puzzle, de faire comme si tout n'était pas vain. Sauf que les histoires sont totalement indépendantes et que contrairement à ce que nous déblatèrent les personnages, les actes commis à tel moment n'ont pas de conséquence à tel autre moment. Exemple phare : on évite un désastre nucléaire qui semble pourtant avoir eu lieu dans le futur puisque la vie sur Terre est quand même méchamment modifiée.

Pour comprendre cette structure étrange et bancale, un coup d'oeil sur les modèles et les références (nombreux) du film est indispensable. Projet : 6 histoires indépendantes mais mêlées. 3 films sont en modèles absolus : Intolérance de Griffith (4 histoires, 4 époques, recoupements thématiques par métaphores, expérimentations sur le montage). On est loin du modèle (un film novateur dans les années 10-20 ça marche plus dans les années 2010, quand même). 2e modèle : 2001, l'Odyssée de l'espace. Oui oui oui. On traverse aussi le temps et l'espace et on parle aussi de morale, d'action et de métaphysique dans le film de Kubrick, référence absolue des Wachowski. C'est louable, mais là on le film de Kubrick est une splendeur intemporelle, inexplicable, passionnante, complexe, nébuleuse (je peux continuer pendant des heures), bref inépuisable et surtout qui ne donne pas de réponses aux question soulevées par son étrangeté, Cloud Atlas est une énorme baudruche crevée qui secrète un fiel fumeux et philosophique sur la morale et l'action en permanence et jusque dans les moindres lignes de textes. "Fais ce que tu ne pourrais pas ne pas faire" nous dit-on, et j'en passe, j'ai pas tout noté ça durait quand même 3h. Bref, l'inverse exact de son modèle, laid et instantanément kitsch qui plus est. Dernier modèle, plus récent : The Fountain, d'Aronofsky. Je n'ai pas aimé ce film mais je lui reconnais une splendeur par moments, une vraie ambition formelle, et une rigueur dans son projet. La grosse erreur de ce film est de répéter 3 fois exactement la même chose en ne faisait varier que le temps / espace donc les décors et le contexte. Donc c'est chiant, et c'est philosophiquement nul et fumeux (aaaah ces films sur le destin et la contingence...). Bref en prenant ce film en modèle, en doublant les histoires mais en cherchant à ne pas copier la même erreur, les Wachowski avaient du bon. Mais là encore le film est laid, les histoires niaises et l'ensemble totalement vain, car à vouloir trop délier les choses, les moindres rapprochements deviennent artificiels (et donc vains) et l'ensemble du film paraît un énorme pantin désarticulé et mal habillé, pour cacher ses hideuses coutures. Vain, vain et vain. Passons aux références. Projet ? Retravailler 6 grands genres de fiction simultanément. Sont donc ainsi conviés en vrac les grands modèles de chaque genre. On pense évidemment à un sous Vol au dessus d'un nid de coucou pour le coup de l'asile / maison de retraite, Broadbent clame "Soleynt Green" à tout va dans une des rares séquences drôles et la fin du premier fil de SF est une référence directe à Soleil Vert, croisé avec Total Recall et tous les grands noms de la SF avec une histoire de machination. Et puis le dernier fil fait très Avatar du pauvre quand même. Le segment polar évoque les grands films des années 70 avec un soupçon de blacksploitation (convaincante Halle Berry, je le redis). Et les Wachowski s'auto parodient avec le côté sous Matrix de leur film d'anticipation. On songe aussi à des films plus récents comme Looper par moments.

Revenons au point le plus horripilant de ce très long film : son "message". Car oui, il serait temps que les Wachowski arrêtent de se prendre pour de grands philosophes (Matrix encore ça passait, pas tout le temps), car ils n'ont pas l'air d'avoir saisi grand chose de ce qui est intéressant quand on manipule de grands concepts comme la morale / l'action, qui semble ici les obséder, couplés avec les notions plus simplistes et vagues de bien/mal, de voyage temporel (lié à la contingence et à la causalité) et puis comme on est dans un grand film, d'amour et de tolérance. Le tout est d'un manichéisme aberrant : les mêmes acteurs rejouent les gentils, les mêmes acteurs les méchants. Et Hanks ne sait faire que le gros benêt. Il faut comprendre quoi là ? Qu'on à travers le temps il y aura toujours des gentils, des méchants et des niais ? Et qu'ils auront toujours un profil similaire ? Pire, on nous assène sans cesse dans Cloud Atlas une morale rance et naïve de l'impératif qui doit être transgressé au nom d'un autre type d'impératif. Typiquement, "j'ai des ordres mais je suis bon(ne) alors je les outrepasse" (Berry et Hanks dans... tout le film). Et ça c'est le bien tu vois. Et le mal c'est "J'ai des ordres mais ils sont forcément mauvais car bouh ce sont des ordres mais ça tombe bien je suis un salaud alors je m'y conforme sans chercher à comprendre". Et c'est qui ? Hugo Weaving pardi. Et un peu Broadbent aussi bien qu'il soit plus le mec malléable genre lâche, un coup qui a des couilles qui lui poussent et un coup plus rien. Bref, même en terminale on se foutrait de la gueule d'un élève qui ferait de la philo avec autant de talent. Ah et en parlant de niaiserie et de philo bon marché. Beaucoup iciont détesté le dernier Malick, mais, même si les dialogues du film sont aussi niais que ceux de Cloud Atlas sont fumeux et stupides, il y a au moins une mise en scène et une atmosphère, rares et lyriques, qui se dégagent de l'ensemble, tandis qu'ici on a une vulgaire compilation du mauvais goût scénaristique et visuel de notre époque. La pilule passe donc, pour ma part, beaucoup mieux chez Malick le poète cul-cul que chez les Wachoswki philosophes de mes deux. Et puis diaaaantre ce qu'il peuvent se prendre au sérieux...

Bon, pour le message (dialogues et scénario compris) je pense que ça ira. Restent quelques mots sur le mélange des genres souhaité par les réalisateurs. Ça ne marche pas. Opérer des rapprochements formels par le montage est une fausse bonne idée qui nuit à la disparité intrinsèque de chaque genre et fait du film un aplanissement, une bouillie thématique extrêmement indigeste et lassante. Oui, c'est rigolo pendant 1h30, on se demande où ils veulent en venir, on mémorise les informations relatives à chaque arc narratif, on fait des recoupements, on essaie de deviner. Et puis on s'ennuie. On attend que ça se finisse, d'autant qu'on a déjà deviné la fin de bon nombre des histoires. Erreur fatale : avoir voulu appliquer à plat les genres avec leurs stéréotypes sans chercher à opérer des variations ou des transgressions de grande ampleur (le comble pour un film qui vante la transgression sociale et morale comme facteur de progrès et d'accomplissement). Du coup on a 6 squelettes sans âmes, parfois clinquants mais souvent grotesques, qui s’entremêlent avec peu de succès et donc les défauts ressortent avec d'autant plus d'aspérités. Seul avantage : comme pour les gens moches dont on dit qu'il vieillissement mieux que les beaux (ils restent moches mais du coup l'âge semble avoir moins de prise sur eux), les fils narratifs les moins intéressants déçoivent moins et restent à un niveau de médiocrité stable, là où les plus flamboyants se vautrent lamentablement en fin de parcours. Autre problème : certains genres ne sont clairement pas faits pour les Wachowski. La comédie notamment. Ils s'en sortent pas trop mal du mélodrame (grâce à une histoire LGBT ?), sauvent la mise pendant quelques temps sur la SF et le polar, et foirent tout le reste assez lamentablement (le pire étant la SF "primitive" façon planète des singes / Xéna / Stargate).

Pour conclure ce long article (oui, j'avais des choses à dire, en même temps j'essaie de vous convaincre de ne pas y aller, il faut ce qu'il faut), je dirais que le film a des qualités. Certaines rares scènes sont réussies, techniquement, grâce aux comédiens ou à l'histoire qui se réveille. Chacun des 6 fils narratifs a ainsi ses bons moments. Le début du film est plutôt plaisant d'ailleurs, mais on déchante dans la dernière heure, trop longue, trop vaine, trop prévisible et inutile. Autre mérite du film : révéler les failles énormes dans le jeu de ces comédiens "de talent" que sont Weaving - que j'aime par ailleurs - Hanks (qui m'insupporte plutôt) ou Hale Berry (qui m'indiffère) : le premier est assorti au rôle du méchant patibulaire : ne sait-il jouer que ça ? Le second joue les idiots au grand coeur, on a envie de s'arracher les yeux, c'est Forrest Gump et Seul au monde dans le futur quoi, et la dernière montre qu'elle est faite pour un certain type de film (elle serait une belle héritière de Pam Grier) mais qu'elle ferait mieux d'éviter les autres (la princesse du futur, non). Un gros soufflet prétentieux, pompeux, moralisateur, souvent laid, très inégal, parfois insupportable, et extrêmement indigeste. Si vous voulez vraiment le voir, prenez de la drogue avant, ça aidera.


PS : sauras-tu retrouver le messages subtil et spirituel qui se cache dans le titre de cet article ? Hihihi.

Créée

le 16 mars 2013

Modifiée

le 16 mars 2013

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Krokodebil

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