Cela semble assez banal à dire, mais ça fait longtemps que j’ai raccroché avec Pixar. Loin de désavouer la firme, je me suis tout simplement, à mon humble regret, désintéressé du cinéma d’animation numérique, surtout après les conclusions en demi-teintes que m’ont amené à semer « Rebelle » (2012), la trilogie des « Cars » (bien que n’ayant pas vu le troisième), « Monster Academy » (2013) et plus récemment « Toy Story 4 » (2019). C’est ainsi que j’ai snobé « Coco » au moment de sa sortie de salle, en 2017, et aussi parce que ça faisait irrémédiablement penser à « La Légende de Manolo » (2014). Je me suis tout de suite dis que ça allait flancher. Et franchement, autant dire tout de suite que ce film restera longtemps intact dans ma mémoire vive.
Investissant, en guise de décor, le folklore mexicain, notamment en passant par les rites funéraires, « Coco », à l’instar de « Là-Haut » (2009) ou encore de « Vice-Versa » (2015), développe comme toile de fond le thème de la mémoire, allant cependant frontalement vers une nuance : au-delà de l’apport mnémonique, c’est la problématique du rapport au culte de la mémoire qui fait l’objet des enjeux du film. Le héros, l’attachant et fougueux Miguel, doit en effet reconstituer un arbre généalogique dont il est tenu à distance, et explicitement figurée par une photo de famille déchirée, l’empêchant de distinguer le visage de son arrière grand père. La célébration du Día de los Muertos offre à l’enfant la possibilité de se catapulter dans l’au-delà, lieu où vivent ceux dont on se souvient, et où il a, donc, l’occasion de retrouver ce fameux aïeul défunt, qu’il soupçonne d’être un chanteur particulièrement célébré : Ernesto de la Cruz. Pour se faire, il est aidé par un étrange camarade : Hector, dont l’existence dans l’au-delà est menacée par l’oubli, aucun vivant n’ayant conservé de photo de lui.
Cet au-delà, représentation d’un imaginaire collectif une peu plus folklorique, s’offre, avec l’incarnation d’un éminent savoir-faire numérique, une vivacité, une pétulance, une richesse à s’en flanquer de vertige. Cité fantasmagorique peuplée de squelettes et de créatures, mais aussi miroir des déchirures hantant notre propre monde, cet outremonde, pétaradant de couleur, offre à la trame un terrain de jeu autant démonstratif que sensible. Donnant l’impression louable de jongler avec les grilles de lecture, « Coco » s’adapte aux soubresauts de son scénario avec une inventivité et une amplitude folâtre, où interviennent la déconstruction et la reconstruction identitaire de Miguel, mais aussi la désillusion familiale. Non content d’une structure narrative en filigrane, menée avec une imprenable intelligence, le film n’est également pas en reste d’acuité lorsqu’il aborde la notion de tragique, représentant l’oubli d’un défunt par sa dissolution dans l’espace. À noter que l’oubli d’un défunt intervient par le fait qu’aucun vivant ne conserve d’image de lui. Dans cet outremonde, ce sont donc ceux qui, vivants, étaient célèbres qui coulent les meilleurs jours, poussant vers la dissolution un monde ou le prolétariat devient otage de l’oubli en guise en synonyme de la misère. Encore une fois, c’est d’une intelligence, une mélancolie… On pense à « Carré 35 », documentaire d’Eric Caravaca sorti la même année, où là encore, le socle le plus intime du récit était occupé par une photo, une image manquante.
Alors, bien sûr, un tel foisonnement narratif et visuel ne pouvait ne pouvait aboutir sans quelques achoppements : « Coco » lorgne parfois sur une linéarité assez décevante, dans le cadre de certaines scènes qui s’envoutent dans des péripéties franchement schématiques, affaiblissant la féérie de l’ensemble au profit d’un certain moralisme empreint de stéréotypes. C’est, aussi, ce que l’on peut voir en « Coco », qui démontre néanmoins que même la plus grosse machine numérique peut authentiquement toucher le cœur — en espérant que lorsque je serai déposséder de ce dernier, mon squelette produira une musique plus jolie que le votre.
https://nooooise.wordpress.com/2020/04/02/critique-coco-lee-unkrich-adrian-molina-2017-noix-de-cocon/