Quatre ans après son superbe "Ida", le réalisateur polonais Pawel Pawlikowski est revenu en force cette année à Cannes avec "Cold War", histoire d'amour à la fois passionnée, tumultueuse et complexe qui s'étend sur 10 ans sur fond de Guerre Froide entre Zula, une jeune chanteuse et Wiktor, un musicien l'ayant découverte lors d'une audition.
Reparti de Cannes avec le Prix de la mise en scène, ce nouvel opus du talentueux cinéaste polonais n'en finit pas de subjuguer la critique depuis sa sortie en salles.


A plus d'un titre, "Cold War" est un film superbe. De par son esthétique volontairement froide symbolisé par un sublime "Noir et Blan"c tant utile sur le fond (afin de montrer que, au sein de cette Guerre Froide opposant URSS et Occident, il n'y a ni "bons" ni "méchants") que sur la forme (pour mieux donner du contraste aux décors et aux vêtements des deux personnages principaux), Pawlikowski nous plonge dans un univers d'après-guerre (le film commence en 1949 pour s'achever en 1959) qui peine encore et toujours à se reconstruire aussi bien économiquement que psychologiquement. Toutefois, si on peut voir dans ce film un certain point de vue social, ce n'est pas tellement ce sujet qui préoccupe le plus le réalisateur, préférant s'attarder sur la passion et surtout la souffrance occasionnée par un amour impossible.Pour ce faire, Pawlikowski a eu la bonne idée de symboliser tout cela par des coupes au noir (plutôt que l'habituel fondu que nous voyons dans 90% des films contemporains), par un format carré 1:33, et surtout par un montage elliptique, c'est-à-dire symbolisé par de nombreuses ellipses qui nous font passer d'une année à l'autre dans le film. Si ce type de procédé ne pourra qu'en agacer certains (de par les coupures au noires très sèches), il se révèle pourtant très subtile dans la mesure où il rend compte du profond désarroi émotionnel dans lequel se sont plongé nos deux amants. Si l'on ressent effectivement leur amour passionné, le cinéaste s'attarde néanmoins sur les oppositions de caractère entre Zula et Wiktor. Si ce dernier apparaît d'avantage comme un homme plutôt discret, peu loquace et ayant du mal à montrer ses émotions, Zula est une femme au caractère bien trempé, qui joue avec son passé mystérieux (des rumeurs racontant qu'elle aurait tué son père) et qui n'a pas peur de s'exprimer, que ce soit de façon joyeuse ou colérique. En dépit de ces divergences, le cinéaste nous explique qu'ils sont victime des même problèmes sentimentaux qui finissent par déteindre même sur leurs vies professionnelles et privées. Le principal point commun entre Zula et Wiktor seraient donc d'être deux victimes de l'amour, constat que Pawlikowski traduit à l'écran par le fait que leurs soucis financiers et vies privées soient à peine dévoilées, la grande majorité des séquences du film étant composée de moments intimes entre les deux amants.


"De l'amour, rien que de l'amour"; tel semble avoir été le credo de mise en scène de la part de l'auteur. De fait, il ne faut pas chercher dans "Cold War" de véritable scénario dans la mesure où le film (aidé en cela par son montage elliptique comme expliqué plus haut) ne se focalise uniquement que sur les moments d'amour et de retrouvailles entre Wiktor et Zula. Ceci dit, on notera tout de même que le cinéaste semble d'avantage être fasciné par elle que par lui dans la mesure où il nous la montre beaucoup plus à l'écran, se focalisant même sur ses coups de colère et ses pleurs. Ceci dit, Zula nous est dévoilé de manière saine, sans aucun jugement douteux de la part du cinéaste (pas de plans suggestifs ou de gros plans sur les parties intimes). L'envie de s'attarder d'avantage sur le personnage féminin que masculin tient du fait que, déjà dans "Ida", Pawlikowski tend à magnifier quelque part toute la force que peut contenir une femme. En cela, dans sa manière de rendre compte de manière juste et attentive des états d'âme de celles-ci, Pawlikowski se rapprocherait sans problèmes des grands cinéastes ayant érigé la femme au rang de mythe, dont François Truffaut et Pedro Almodovar.
Cette impression de "femme forte" peut aussi se voir par l'interprétation, toute en énergie et en émotion contenue, de la comédienne Joanna Kulig, réellement impressionnante. Dans le rôle de Wiktor, Tomasz Kot, est lui aussi très émouvant, tour à tour maître et victime de son amour passionné.


A la fois tragédie amoureuse sur fond de tension sociale, film de femme, mélodrame aux accents néo-réalistes, "Cold War", s'il ne manque pas de dérouter par moments (les sauts narratifs dans le temps sont parfois vite expédiés, la narration qui parfois cède un peu trop le pas à l'esthétique de la mise en scène), peut aussi se voir comme un très beau moment de cinéma, servi par un "Noir et Blanc" sublime (qui n'est pas sans rappeler certains des plus beaux Bergman), deux très bons comédiens à l'alchimie parfaite et par une tension amoureuse des plus bouleversantes.

f_bruwier_hotmail_be
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le 12 nov. 2018

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