Colossal, de Nacho Vigalondo, est à l'image du bac à sable au centre de son dispositif: un théâtre de jeu pour enfant, fait de monstres et de robots, mais à partir duquel se dessine un
vrai drame d'adulte.
Véritable OULIPO cinématographique, Colossal interroge sur le rapport inquiétant qui semble exister entre deux films distincts, l'un de science-fiction, l'autre comédie dramatique à l'américaine, et qui continuent de se frotter l'un à l'autre durant toute la durée du film.
C'est cette friction, justement, qui fait toute la réussite du long métrage du réalisateur espagnol. En témoigne, cette idée, peut être la meilleure du film, d'entendre la réaction du voisinage, hors-champ, devant leur téléviseur, face aux agissements terrifiant des monstres à l'autre bout du monde, tandis que nous assistons, éberlués, à la version mimée par des adultes dans le bac à sable.
L'autre réussite du film réside dans sa capacité à déjouer les attentes du film de genre, systématiquement, pour revenir à son cœur dramatique (le film d'adulte) avec, parfois même, le sentiment qu'on ne reviendra jamais à l'argument fantastique du film tellement celui-ci peut s'en passer.
Reste, enfin, l'élégance d'une mise en scène qui sait cueillir discrètement chaque détail pour mieux peindre ses personnages: l'arrivée dans le bar pour le personnage de Gloria, avec cet arrêt d'un panoramique, visée subjective du personnage, sur une bouteille sombre et floue au premier plan ou encore la photographie au visage grattée, expression subtile de la détresse et de la névrose du personnage d'Oscar que Gloria remarque lorsqu'elle arrive chez lui pour la première fois.
Colossal propose un twist admirable et astucieux, au timing aussi parfait que celui des films de Shyamalan. Difficile aussi de ne pas succomber au "name dropping" tellement le film est emprunt de références: on pense à Cassavettes, moins pour Gloria que pour Une femme sous influence, on pense à Noah Bumbach aussi, plus qu'a Wes Anderson, dont le nom et littéralement cité par le personnage principal pour décrire le bar, endroit qui s'apprête à devenir un véritable enfer plus tard dans le film (ce qui en dit long sur la distance avec la référence citée).
L'ultime gag, in fine, fait malheureusement décrocher la tonalité générale: alors que l'alcoolisme notoire du personnage principal est un vrai sujet tout au long du film, voilà qu'il devient un mauvais gag de série télévisée "girly", du genre Ally MacBeal.
Bref, vous l'aurez compris, Colossal est une excellente surprise, une proposition de cinéma assez rare (japonisante, presque: ça aurait pu être un film de Sono Sion ou Takashi Miike). C'est surtout un film qui ne cède jamais à sa propre folie. A l'instar de son héroïne: il aura certainement fallu lutter durement pour atteindre cette exemplaire sobriété.


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le 9 sept. 2017

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