Premier long-métrage du réalisateur, Compte tes blessures se fait le terreau sensible et intense d’un duel père-fils qui ne pouvait pas finir sur un ex-aequo : la rage de vaincre ne se nourrit jamais autant que de la force de vie et de la passion d’être aimé.


De la sensibilité. Ce film est sans aucun doute plein de minuscules maladresses, de petits détails qui titillent. Il n’est même sûrement pas d’une portée universelle et complètement subjuguant. Mais ce métrage est une révélation. Celle d’une pépite qu’est ce jeune cinéaste, qui donne au cinéma français une vraie couleur, une esthétique forte, bref : une souffle d’air frais pour dépoussiérer le convenu. Tout surprend ; les personnages, l’intrigue qui se déploie et se nuance, le filmage qui progresse en qualité de minute en minute et va au plus près de l’être sans jamais étouffer. Les comédiens, malgré leurs personnages complexes, parfois très ambigus mais toujours maladroits, parviennent à rayonner d’une véracité assez spectaculaire. Et il faut le dire, c’est en partie grâce à l’écriture fine et poignante de Simon dans les dialogues. Le poissonnier de père, interprété par Nathan Willcocks, est terrifiant d’une cruauté humaine cinglante qui ne fait que pousser dans ses retranchements le jeune fils rebelle et tatoué qu’est Vincent – joué par Kevin Azaïs, comédien-caméléon de talent. Ses yeux d’une profondeur abyssale. Son anguleux visage qui se laisse bercer de noirceur et de lumière, de désespoir et de jouissance extrême – la scène, la musique, la vie – est à l’image du film entier, épuré. Celui-ci pourrait donner l’impression rapide d’un film simple d’une heure vingt : c’est en réalité une gifle cinématographique, qui vient jouer des coudes à Xavier Dolan, à qui il emprunte la talentueuse comédienne Monia Chokri – Les Amours Imaginaires, un peu femme-objet mais femme libre et forte qui se retrouve au centre de ce concours de phallus nécessaire à la survie, au passage à l’âge adulte.


Un film mature malgré le jeune âge de cet ex-étudiant de La Fémis, qui casse les codes du teen-movie pour aller vers un questionnement qui dépasse le canevas habituel auquel il se frotte. La vision oedipienne symbolique, le fantasme, la haine d’exister pour soi se mélangent, se contorsionnent et se tendent pour proposer en offrande une scène d’une humanité animale rare : jamais une séquence n’aura fait éclore autant de questionnements, d’émotions – contradictoires, éparses, nerveuses. De la sensation, en tant que spectateur, de se sentir pleinement en vie. Evitant l’écueil de la sexualité exhibée, la femme n’est alors plus objet charnel mais divinité à honorer. Morgan Simon a décidément bien appris ses leçons et a su s’en écarter au possible : à l’image de Vincent, ce personnage principal en quête de soi, le jeune réalisateur est désormais devenu grand.


Non, ce film n’est pas un chef d’œuvre. Il ne laisse simplement en aucun cas indifférent, et touche là où cela fait du bien d’avoir mal. D’un amas de maladresses exquises et sublimées, saisissant de vitalité. Ce film n’est rien sinon le début d’une véritable cinématographie.

Julien_Gallett
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le 23 mars 2017

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Julien Gallett

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