Saint Amour : un remède aux enclos de notre de temps.

Un Gérard Depardieu aussi imposant que tendre. Un Benoît Poelvoorde doux mais dépressif. Une réalisation décalée de Benoît Delépine et Gustave Kervern - les trublions du gênant Groland, dont l’un joue ici le fidèle compagnon de verre - qui viennent poser leur caméra dans un angle autant social que politique. Ils nous installent alors dans l’odeur vineuse de la France agricole, et des tensions haineuses et discriminantes qui rendent rance l’atmosphère générale du pays. Un film actuel, plein d’amour et d’anarchie.


Pour balayer dans toute son épaisseur la complexité de ce film, il paraît opportun de se baser sur sa partition : un morceau nommé « Intromission », thème musical créé par l'implacable Sébastien Tellier, qui est l’essence auditive du film. La mélodie est en premier lieu amusante et enivrante — voire enivrée. A l’image de ces bedonnants Bidochon allant à la conquête des précieux breuvages de régions, et siffler jusqu’à la lie absolument tout ce qu’on leur proposera. Ils sont tendres, ils sont drôles, et presque de la famille. On sent la chaleur d’un Depardieu qui cherche à devenir père coûte que coûte, la simplicité d’un homme qui entretient une relation métaphysique oliveirienne. L’amour fusionnel, paternel, inconditionnel, quitte à être peu conventionnel et irrationnel — stock d’assonance épuisé, est omniprésent et noierait presque le film s’il n’y avait pas un effet de balance venant le tempérer.
Un autre versant de la mélodie, plus froid, plus dur, plus classique, se fait ressentir — la rectitude heurtée au moderne débridé. Derrière ce mur de sonorités arides, c'est leur détresse. Ils sifflent jusqu’à la lie leur vie, brute, sèche, fermentée. Poelvoorde, dans la peau de ce pauvre Bruno, n’est pas un grand connaisseur, mais il cherche tête baissée de la robe. De la féminine, de la sensuelle, ou même de la gentille. En vain, ou presque. Il cherche et va, à la manière d’un Ulysse dont le fantôme du père le hante et le réconforte malgré lui, de ville en ville, de terre en verre, se confronter à l’autre. L’une est frêle et maladroite, une autre a la voix suave du contralto. Plus que d’aimer, de forniquer, il voudrait être aimé.
Et ces deux aspects oxymoriques de la mélodie forment un film ambitieux, qui tente de traiter beaucoup avec peu. Ce twist entre deux genres, ce décalage qui créé une friction, c’est peut-être Vincent Lacoste. Avec le seul personnage qu’il a dans sa palette, il vient doucereusement se placer aux côtés des deux agriculteurs, après avoir tant bien que mal essayé de garder intact la frontière entre le parigot genré qu’il est et ces deux rustres qui finalement lui ressemblent plus qu’il ne le voudrait. Les tensions s’amincissent, les rapports s’adoucissent, et l’humanisme pointe le bout de son nez. Ce décalage dans la mélodie, la pop électronique face au classique, c’est peut-être aussi ces petits rôles qui font face à nos hommes. Venant aérer – un Michel Houellebecq ahurissant – ou gâcher – si l’on pense au jeu d’Izïa Higelin – le récit, ils proposent définitivement une autre trame narrative que ce à quoi la société prédestinait nos poulains. Et la voix lyrique qui chante sur le morceau de Tellier, telle la cantatrice subjuguant et embellissant tout, peut très aisément être affiliée à Venus, qui scellera leur union d’hommes libres.


L’absurde, le punk, l’invraisemblable se mélangent avec un pathos si succulent que l’on ne peut en vouloir très longtemps à ce métrage ambitieux. Le duo Kervern-Delépine nous dynamite les codes tout en les respectant bien comme il faut, avec de la caméra cachée, un aspect presque documentaire, resserré sur l’Homme, et néanmoins en y incorporant un conte dénué de morale, prônant la rencontre, l’amour et le partage, en se moquant des conventions, sociales comme scénaristiques. Il nous tend avec une tendre irrévérence un prisme déformé de notre temps, comme pour en modifier le cours et nous promettre une utopie étrange, dont le coeur ressort à la fois léger et lourd. Décidément, ce film est l’affirmation paradoxale, entre beaufitude et extrême poésie, qu’il faut pointer du doigt les barrières poreuses que nous nous fixons par convention. Et les abolir.

Julien_Gallett
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le 19 mars 2016

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