"Between the time when the oceans drank Atlantis and the rise of the sons of Aryas, there was an age undreamed of…"


C’est par ces mots désormais mythiques que s’ouvrait en 1982 l’une des plus formidables épopées guerrières du XXe siècle. Inspiré par le personnage créé par Robert E. Howard, Conan le Barbare allait s’imposer comme le héros incontesté de toute une génération. Siégeant sur son trône, il attend d’ailleurs toujours celui qui viendra contester sa suprématie. Et lorsqu’on scrute l’univers "héroïque-fantaisie" du cinématographe de ces derniers temps, on se dit que le Cimmérien a encore de belles années de règne devant lui.


Évidemment, à l'heure où nous écrivons ces lignes, nous avons eu droit à un reboot avec Jason Momoa et l'on murmure dans les milieux autorisés qu'Arny pourrait remettre le couvert dans le rôle titre pour un hypothétique The Legend of Conan ou King Conan en 2016. Si l'on en croit la fiche Allociné, le seul nom du Gouvernator figure actuellement au générique, c'est dire si le projet avance...


Mis à part un montage Photoshop présenté à Cannes et quelques rumeurs, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Et d'ailleurs faut-il vraiment souhaiter que ce projet avance ? Faut-il espérer que, se levant de son trône, le roi barbare vienne nous infliger l'épisode de Conan qui surpassera le ridicule de Conan le Destructeur ?


En un sens oui, prenons le risque. Notre petit cœur de cinéphile aimerait qu'enfin Schwarzy retrouve un rôle et un film à sa mesure. Si l'on excepte Le Dernier Rempart, on ne peut pas dire que le retour au cinéma du bonhomme ait été auréolé de gloire. Entendons-nous bien et gardons le sens des proportions, Arnold n'est absolument pas un comédien d'une finesse incomparable. C'est une machine à divertir, à balancer des (camel) punchlines légères comme un bulldozer et dont le charisme s'impose autant que le physique. Et c'est d'ailleurs ce qui fait la force du film qui nous préoccupe ici. Alors oui, espérer le retour par la grande porte d'Arnold le terrible n'est pas vain. Rien que pour finir sur une note plus brillante que ce qu'il nous a proposé ces derniers temps.


Pourquoi ce retour ne serait-il pas à souhaiter ? Quand on voit la quantité de remakes, de reboots, de reboots de remakes et de suites plus écœurantes les unes que les autres, on voudrait seulement parfois n'avoir pas contemplé certaines "choses". Se trouvera-t-il quelqu'un qui saura donner une suite digne de ce nom à ce chef-d'œuvre brut qu'était et que reste Conan le Barbare ? Se trouvera-t-il un producteur qui aura le courage de ne pas calibrer le film pour qu'il réponde aux critères des blockbusters estivaux ? Se trouvera-t-il un réalisateur qui aura les tripes d'accorder à cet hypothétique nouveau volet la gravité, le souffle et l'univers qu'il mérite ? Nous attendons de voir mais soyons réalistes... peut-être vaut-il mieux revoir inlassablement ce Conan de John Milius et abandonner ici tout espoir de voir la magie opérer à nouveau.


Et puisque de magie il est question, revenons à la pellicule qui nous intéresse.


L’histoire : au matin d’un monde civilisé, le secret de l’acier est révélé au jeune Conan par son père. Peu après, le village est assailli par une horde de cavaliers. Le secret est volé. Hommes et femmes sont massacrés. Les enfants sont réduits en esclavage. Seul Conan survivra. Devenu adulte, il n’aura de cesse d’assouvir sa vengeance.


Esthétiquement, point de pacotille en ces lieux. Les épées ont tué, les armures ont vécu, les peaux sont travaillées… Les décors et les paysages participent également de la puissance ensorcelante de l’histoire qui nous est contée : la majesté des sommets enneigés, les déserts arides, les plaines verdoyantes où l’on court vers l’aventure. A perte de vue, on embrasse l’horizon des possibles.


Côté distribution, rien à redire. Arnold Schwarzenegger campe un Conan massif, bestial et monolithique, assez éloigné du personnage de Howard à la psychologie plus fine et au physique plus souple que son alter-ego autrichien. On imagine pourtant mal quelqu’un d’autre que ce dernier pour incarner la figure emblématique d’un âge où la violence et la guerre règnent en maîtres. Une stature bien sûr mais aussi une aura imposante. Un bloc de granit qui prendra pourtant quelques reliefs d’humanité et d’humour au cours des rencontres qu’il fera.


Face à lui, Thulsa Doom, l’ennemi multiple, étrange et fascinant, campé par l’hypnotique James Earl Jones : guerrier puis gourou d’une secte déviante se dissimulant sous les séduisantes tentures d’une spiritualité fraternelle. Son regard est inoubliable, presque dérangeant d’intensité. La dernière confrontation des deux protagonistes est exemplaire. La tragédie grecque n’est pas loin : Doom est à la fois l’instrument du destin et son initiateur, catalyseur de la haine du guerrier, cette haine par laquelle il vit.


Ce colossal opéra ne saurait se départir des mélodies qui l’habitent. Comment ne pas évoquer la partition sensationnelle de Basil Poledouris qui nourrit littéralement le récit et le pare d’oripeaux héroïques et flamboyants ? On pardonnera bien vite ses emprunts au Carmina Burana de Carl Orff ("Riddle of Steel/Riders of Doom" et "Battle of the Mounds") et aux Planètes de Gustav Holst ("The Orgy"). Les thèmes tour à tour titanesques, aériens, épiques ou tonitruants sont immédiatement identifiables. Taillés sur mesure, ils se mettent au diapason de la narration.


L’évocation du film provoque toujours le frisson. Des images fortes affluent instantanément. La naissance d’abord (une première partie quasi-muette mis à part l’intervention du narrateur) : l’attaque du village, la première apparition de Thulsa Doom, Conan enfant poussant la roue de la douleur, devenant un combattant impitoyable dans l’arène… Puis ses péripéties : sa course vers la liberté, la belle et farouche Valeria, la crucifixion, l’orgie… Enfin son achèvement : la bataille du tertre et la tirade qui la précède ainsi que l’ultime dialogue avec l’antagoniste juré. L’image finale évoque une figure hiératique désabusée. Comme si la prédiction du "géniteur" parricide s’était révélée cruellement juste. Autant de tableaux débordant d’une poésie païenne et barbare. L’odeur du sang s’élève dans la fureur de certaines scènes. La légende du Cimmérien s’écrit et se perpétue dans la danse sauvage de l’acier et de la chair.


Forgée par John Milius et Oliver Stone, Conan le Barbare est une œuvre culte qui traverse les âges et qui reste sans équivalent à ce jour. Elle n’a rien perdu de sa puissance et de son romantisme. Une fresque échevelée et brutale, une ode aux grands espaces, un souffle et une vigueur jamais égalés.


Ajoutons ici quelques lignes concernant un film qui, selon nous, fait écho avec l'oeuvre de John Milius. Il ne s'agit pas d'Alexandre Nevski (qui est souvent cité) mais du Cid d'Anthony Mann (1961). La musique (Miklós Rózsa est d'ailleurs l'une des influences majeures de Poledouris), les paysages, la puissance évocatrice de certaines scènes et même le jeu de Charlon Eston portent en eux les germes (et parfois bien plus) de ce qui fera la force de Conan le Barbare.


Revenons d'ailleurs à Charlon Eston. Il en imposait à l'époque tout autant qu'Arnold dans ses rôles les plus marquants. Nous prendrons même le risque d'écrire ici qu'il était le Schwarzy du cinématographe des années 60-70. Jetez donc un œil au Cid, à la Planète des Singes, au Survivant, à Soleil Vert et reparlons-en.


Nota Bene : cet article a été initialement publié par nos soins sur le site Eklektik-Rock. Il a été revu et augmenté pour sa parution sur SensCritique.

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le 27 mai 2015

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