L'irréprochable vacuité de Cosmopolis

New York, avril 2000. Bloqué dans sa limousine blanche par un embouteillage géant qui paralyse Manhattan, Eric Packer, vingt-huit ans, le golden boy qui aspire à briser l'adn du yen ou du dollar afin d'y lire le sens et l'ordre de l'univers, assiste, en compagnie de sa garde rapprochée dont les membres se succèdent dans cette voiture de rêve, au crépuscule du système qui a porté sa compagnie au firmament de la galaxie Wall Street.

Les yeux rivés sur le cours d'une monnaie dont il a parié la chute et qui remonte contre toute attente, tétanisé par l'irruption dans son monde virtuel d'un réel ensauvagé, qui embrase les rues de New York, Packer s'initiera en creux à son élimination contenue dans ce délitement généralisé.


Toutes les tentatives anti-métaphysiques demeurent métaphysiques.

A commencer par le triomphe de l'argent sur le politique. Alors que la classe politique française dévoile une énième fois son affairisme fondamental, le film de Cronenberg adapté du chef-d'oeuvre de Don DeLillo portant le même titre, nous renvoie directement à la crise financière que traverse le monde contemporain, un renvoi derrière des vitres fumées que la ténacité du réel pourrait finir par briser.


Cosmopolis ouvre un monde et le configure. Son être-là est indéfiniment défenestré, dupliqué, différé, déphasé. Et pourtant, il ne peut pas ne pas être au monde. Il n'y a de présence aux choses et au monde qu'en tant que nous y séjournons. Le cinéma de Cronenberg ne constitue pas les choses comme objets mais introduit l'homme dans le là de ces choses qui semblent frappées de déréalisation, d'Existenz à Cosmopolis. Son expansion ne contient pas l'homme mais le lieu en lequel cet étant qu'est l'homme est ouvert à la révélation du sens de l'être. Il ne s'agit plus de questionner la nature morale de l'homme mais de ce qui est présent sur cet écran là. De ce qui advient, factuellement. Comme malgré soi. Le jeu des possibles interdépendants, amoraux et glacés.

La présence des images n'est pas éclaircie par leur environnement mais est en soi un fragment d'éclaircie du monde, sa luminosité existentiale. Le présent du spectateur prend source dans l'appel que se lancent l'un à l'autre provenance et avenir.

Cosmopolis fait partie de ces films qui accueille le monde tel qu'il va, y compris dans sa nullité qui n'est pas privation, mais ce qui constitue en négatif l'annulation des spectateurs tenus comme nuls et jetés au coeur du monde ritualisé, réinventé, jetés nus et comme tels.

La disponibilité historiale qui se déploie sur l'écran de l'ordinateur, de la tablette, du cinéma, est avant tout modalité d'un souci et circonspection angoissée. Dans Cosmopolis, tout est jeté à même le chaos et l'absurdité d'une facticité informe et sans cesse redéfinie au gré des pulsions de chaque protagoniste et de chaque configuration économico-politique. Chaque projet existentiel jeté au monde voit sa provenance et sa destination potentiellement refusées.

Le sujet pensant qu'est Packer ne peut se constituer qu'en se transcendant dans un dessein de liberté en tant qu'il ouvre un monde.

Jeu de miroirs babélien. La dette et le ressentiment des rues se traduit par l'abomination d'une nouvelle valeur d'échange, le rat, signifiant de la nullité existentiale du monde en tant qu'il est à lui-même son propre fondement à la croisée de l'être-jeté, déprimé, cynique et suicidaire et du projet d'expansion permanente, rutilant, unilatéral, déterminé, avide et infatué.


" -La volonté implacable. Parce que je n'arrête pas d'entendre parler de notre légende. Nous sommes tous jeunes et intelligents et nous n'avons pas été élevés par les loups. Mais le phénomène de la réputation est une affaire délicate. L'ascension sur un mot et la chute sur une syllabe. Je sais que je ne m'adresse pas à la bonne personne."

-Quoi ?

-Où était la voiture cette nuit, après les tests ?

-Je l'ignore.

-Où vont toutes ces limos la nuit ? » »


Le film est irrigué par les songeries et réflexions philosophiques de ce trader assombri ainsi que de son entourage elliptique.


« -La vie est trop contemporaine. »

« -L'extension logique des affaires c'est le meurtre »

« -Vous êtes destabilisé parce que vous avez le sentiment de ne pas avoir de rôle, de ne pas avoir de place. Mais il faut vous demander à qui en revient la faute. Parce qu'en fait il y a très peu à détester dans cette société, pour vous. »

« -Votre crime n'a pas de conscience. Vous n'y avez pas été conduit par une force sociale oppressive. Comme je déteste être raisonnable. Vous n'êtes pas contre les riches. Tout le monde est à dix secondes de devenir riche. Ou c'est ce que tout le monde croyait. Non. Votre crime est dans votre tête. »

La scène finale qui déploie la rencontre d'un déclassé nommé Benno et de Packer, confrontera le désespoir d'un être relégué à la honte et l'inaptitude économique au discours rutilant de cynisme assumé du golden boy pourtant insoutenablement aspiré dans sa propre vacuité.
ThomasRoussot
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le 8 avr. 2013

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