Pour rester dans le ton, le mois de janvier étant celui du blanc et du linge de maison, je vous propose de nous intéresser au film *« Coup de torchon »* de Bertrand Tavernier 

avec Philippe Noiret dans le rôle principal de ce métrage sorti en 1981, issu de l'adaptation d'une nouvelle de Jim Thompson, « 1275 âmes ». Ce film, a joué de malchance. Il concouru pour le meilleur film étranger aux Oscars 1983, mais ne fut pas récompensé. Il Obtint 11 nominations aux Césars 1982, dont toutes les plus prestigieuses catégories, mais ne permit finalement à personne de faire son discours sur la scène de la salle Pleyel, puisqu'il ne fut récompensé d'aucune statuette. Pourtant, il avait des arguments !


Bourkassa Ourbangui, Sénégal, 1938. C'est dans ce petit village de 1275 habitants (« En comptant les nèg' ») de l'AOF, que nous suivons la vie tranquille de Lucien Cordier (Philippe Noiret), seul agent de police du village. On ne peut pas dire que ce soit le représentant de l'ordre le plus efficace, scrupuleux et consciencieux de l'administration. En effet, il fuit le conflit, n'a rien contre un petit billet ou une faveur pour oublier un incident. Bref, Lucien Cordier est le père spirituel d'outre-méditerranée de René Boisrond, dans "les Ripoux "(1984). Sa veulerie, sa paresse n'en font pas un personnage très attirant au demeurant, mais on sent chez cet homme une profonde gentillesse, mais qui, une fois arrivé dans les colonies, loin de tout, s'est laissé aller à la mollesse, qui sans doute était déjà un peu la sienne en métropole. La métropole, il en a emporté un souvenir : sa femme, Huguette (Stéphane Audran), et son « beau-frère », Nono (Eddy Mitchell) et ce n'est pas vraiment un cadeau. Elle qui le brime en permanence, et lui, si imposant, l'air un peu dur, l'oeil menaçant, mais pas très intelligent. Cependant, suffisamment pour faire croire à ce pauvre Lucien, qu'il est bien le frère de sa sœur, bien qu'ils ne se ressemblent pas tant. Oui, Lucien est cocu et sous son propre toit. Bref, Lucien est un peu con. Encore s'il ne se faisait humilier que sous son toit, mais à vrai dire personne ne le respecte. Les maquereaux du coin, honorables tenanciers de bordel (Jean-Pierre Marielle et Gérard Hernandez) passent leur temps à lui faire mordre la poussière, et ça lui convient. Au fond, il lui reste Rose (Isabelle Huppert), la femme d'un époux violent, qui offre le réconfort charnel qui suffit à sauver le bonheur de Lucien.
Le basculement s'opère le jour où il doit quitter son village pour se rendre dans la ville voisine, faire son rapport à son supérieur, Marcel Chavasson (Guy Marchand). Ce chef de la police inspiré, qui aura à lui tout seul (et cela avec une extrême diligence) résolu tout ce qui posait question dans la controverse de Valladolid (1550) à savoir : « Les nèg' n'ont pas d'âme » avec une rhétorique tout à fait savoureuse ! C'est ce même chef de la police qui fait pencher notre faire-valoir de l'autre côté . En effet, celui-ci lui fait ouvrir les yeux sur sa naïveté. C'est ainsi, que notre brave policier devient l'ange exterminateur de son village ! Il a péché et a essuyé les péchés des autres. Il est le Christ, mais le Christ violent : celui qui chassa les marchands du temple. Il élimine ceux qui font le mal, ceux qui trichent, qui se roulent dans des comportements obséquieux, ceux qui mentent. Il est aussi sale qu'eux, mais il estime que le libre-arbitre laisse le choix entre le bien et le mal ou tout au moins entre le mal et le moins pire.


Ce film, est ce qu'on appelle une œuvre réussie. Bertrand Tavernier signe là une réalisation impeccable. Le choix de ce roman de série noire est excellent et surtout, il l'adapte à l'Afrique, qui donne cette distorsion dans le temps et dans l'espace avec des distances qui permettent d'être en dehors de la loi de la métropole. La sécheresse de ce décor, la poussière, la moiteur des corps rend une impression de saleté. Tous les personnages sont sales intérieurement et ça se transcrit par cette poussière et cette sueur qui perle (A part les maquereaux qui sont toujours sublimes dans leurs costumes ivoire). On pourrait imputer à la chaleur la responsabilité de ce changement de comportement si radical chez Cordier : du naïf à cet illuminé, dont on ne sait pas si les deux visages sont des postures (vrai ou faux naïf, folie réelle ou passagère). En tout cas il est de la responsabilité de Philippe Noiret d'avoir su le porter avec une telle force de conviction. Les dialogues (Aurenche et Tavernier), sont ciselés, justes, d'une effrayante légèreté, tant l'oeuvre peut rendre compte de ce qui il y a de plus dégoûtant dans la nature humaine. De plus, la musique rend aussi cette impression de gaieté, mais aussi que quelque chose, là, quelque part, attend. En outre, l'utilisation des cuivres, de tonalités jazz, font un clin d'oeil discret à l'oeuvre originale dont l'action se déroule aux Etats-Unis.


Au total, ce film, par sa réalisation, sa distribution, son propos si subtilement cynique, sa contextualisation spatiale et temporelle,sa musique, et ses dialogues efficaces est un bijou de film français comme on ne peut que les aimer ! Il nous fait regretter Philippe Noiret et son regard attendrissant. Un immense acteur, avec l'humilité des grands, dont certains devraient s'inspirer. « Coup de torchon » est un coup d'épée, mais pas dans l'eau (un baromètre à 9/10).


Signé Sarrus Jr.

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le 14 janv. 2020

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