Résoudre le problème de la disjonction exclusive au sein du désir

Le fils est amoureux de la baby-sitter, la baby-sitter est amoureuse du papa (Steve Carrell), la maman (Julianne Moore) couche avec un collègue de bureau, le papa-victime devient un séducteur sous les conseils d’un bellâtre (Ryan Gosling). Il fallait que le cinéma américain trouve une solution à l’échec du modèle légal du mariage. Il fallait sortir de l’impasse de la disjonction exclusive : ou le mariage sans désir sexuel, ou le désir sexuel sans mariage ; ou la loi, ou l’anarchie.


Il fallait pour cela que le séducteur tomba amoureux de la grande fille du papa (Emma Stone), et renonce à son super-pouvoir d’attraction des corps. Quand l’obsession pour la loi rencontre le désir sauvage, s’engage d’abord une lutte dialectique des contraires. « Montre-moi ton truc de séduction le plus efficace », dit l’une avec dédain. Ce à quoi l’autre répond en effectuant le célèbre porté de Dirty Dancing. En suspension un instant, ce sont les désirs contradictoires des corps qui se nivellent. Se mettent entre parenthèses les lois du mariage et le jeu du désir sexuel. L’union de ce couple improbable fait filer le désir vers autre chose que les lois sacrées du mariage ou l’attraction sexuelle des corps. Le moment de l’acte sexuel est indéfiniment différé. On entend des rires, des petites luttes pour rire, des mots pour parler de tout et de rien, on essaye une chaise de massage, on est dans le pour rien du jeu et de l’amour. Le temps s’étire, cette nuit pourrait ne jamais finir — encore moins par le mariage et le sexe — et on rêve quelques secondes à l’un ou l’autre film de Cassavetes qui suspendait si habilement le temps au développement de désirs sans fin.


Passée cette nuit, il faudra encore quelques instants pour que le monde redevienne « normal », le temps que le désir sexuel sauvage et la frigidité domestique du mariage trouvent leur équilibre. In fine, La baby-sitter attendra le fils, la maman retournera sûrement avec le papa, et le bellâtre-prince-charmant vivra sûrement heureux avec la princesse-fille-du-papa pour l’éternité.


Au regard du bref moment de suspension des corps et de leurs désirs contradictoire (assignation de mariage, exploration de la sexualité avec une multitude de corps), la fin déçoit autant qu’elle répond à la problématique initiale de la disjonction exclusive. Elle réaffirme la valeur sacrée de l’amour consommé dans le mariage.


Sébastien Barbion


Publié dans Rayon Vert Cinéma, "Les nuits des noctambules", mars 2016.

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le 3 avr. 2016

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