Creepy était la sortie de ce mercredi, le film que je voulais absolument voir et dont j'en attendais beaucoup. En me rendant dans la salle, je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre et pourtant je ne cessais de penser à des oeuvres comme I Saw the Devil, The Chaser et Seven. Des longs-métrages sombre et angoissant, ou la morale est corrompue par le mal prenant le pas sur le bien. La barre était donc très haute. Cette attente était peut-être trop grande, à moins que ce soit la présence de Catherine et Liliane passant leurs temps à commenter ce qui se déroule à l'écran, ou ce n'est tout simplement pas l'oeuvre terrifiante annoncée.


Le mal est parmi nous. Le suspense n'est pas vraiment important au sein de ce thriller. On connait l'identité du psychopathe et chacune de ses apparitions sont de grands moments d'angoisse. Seulement, cette angoisse ne se fait pas ressentir en son absence. L'ambiance est sombre, mais pas anxiogène. La première scène du film mettait en avant l'arrogance de l'inspecteur Takakura (Hidetoshi Nishijima), pêchant par un excès de confiance dont il va en subir une violente conséquence. Il aurait dû apprendre de son erreur, mais l'être humain a comme particularité de reproduire le même schéma. C'est rassurant et cela permet de ne pas se remettre en cause, de ne pas se retrouver face à soi et de découvrir ses failles. Le thriller est une excuse pour nous parler de l'homme, de notre société et du repli sur soi.


En déménageant dans un nouveau quartier, le couple Takakura et Yasuko (Yûko Takeuchi ) ne s'attendait évidemment pas à se retrouver en terrain hostile. Le voisinage n'est pas accueillant, les portes s'ouvrent et se referment aussitôt. Cela décourage Yasuko, du moins pour un temps. C'est une femme au foyer ne connaissant personne dans les environs et l'ennui la pousse à vouloir entrer en contact avec Nishino (Teruyuki Kagawa). Au premier abord, le personnage est asocial. Il s'excuse pour son comportement et en donne les raisons. Pourtant, son attitude et ses mots masquent partiellement le monstre qui sommeille en lui. On sait que cet homme est dangereux, mais on ne sait pas à quel point. Puis, il y a sa fille Mio (Ryoko Fujino), sa présence adoucit un peu l'atmosphère. Un père de famille, c'est rassurant surtout si on les voit rire ensemble. Cela sème un léger doute, mais comme Takakura, on sent chez cette homme la présence du mal.


Le monstre se nourrit de nos angoisses. Takakura devenu professeur est sollicité par son ancien partenaire Nogami (Masahiro Higashide) pour élucider une vieille affaire de disparition troublante. Des membres d'une famille ont disparu durant le voyage scolaire de leur fille. Le parallèle entre cette affaire et Nishino se fait rapidement, mais ce n'est pas cela qui motive le réalisateur Kiyoshi Kurosawa. A travers cette histoire, il dresse le portrait d'une société ne se regardant plus que le nombril en devenant dépendante d'un certain confort matériel masquant un immense inconfort émotionnel. Mais pas seulement, il pousse la critique bien plus loin, en pointant du doigt notre incapacité à réfléchir par soi-même, en se laissant manipuler par ceux qui nous gouvernent. Nous sommes des pantins et Noshino peut faire ce qu'il veut de nous, à moins qu'un souffle de révolte d'antan ne se fasse à nouveau ressentir, le monstre peut tranquillement user de son pouvoir, en évitant de se salir les mains, tout en rejetant la faute sur ceux qui lui ont permis de prendre le pouvoir.


Les dirigeants usent et abusent du "diviser pour mieux régner". Cette stratégie continue à prouver son efficacité, malgré une pseudo évolution de notre société dite moderne. On passe notre temps à se préoccuper de notre nombril, en le nourrissant à travers des achats superflus et en flattant notre ego à travers les réseaux sociaux. De ce fait, on ne fait plus attention au monde qui nous entoure. Les voisins ne sont plus que des noms sur des boites aux lettres et le monstre peut évoluer en toute tranquillité. Pourtant, son visage ne peut s'oublier. Il transpire le mal, mais si personne ne prend le temps de le regarder, il peut prendre diverses identités et assouvir son besoin de créer une autre famille, dont il va prendre le contrôle grâce à une mystérieuse substance. Une addiction en remplace une autre. Elles ont beau voir son vrai visage, elles sont sous le joug de cet incarnation du diable sur terre.


La critique et les thèmes abordés sont intéressants. Mais cette réflexion sur notre société actuelle à travers un thriller manque d'efficacité. La réalisation de Kiyoshi Kurosawa a beau être séduisante, comme ce plan ou Takakura est face à la maison de l'ancienne affaire. La caméra est derrière lui, puis va s'élever en reléguant son partenaire Nogami au loin. Elle continue son ascension et montre cet homme seul face à l'immensité de la complexité de ce monde. Le face à face entre le bien et mal ne sera pas aussi éprouvant que prévu. On est pas angoissé en pénétrant dans la demeure de Nishino. C'est pourtant l'antre de la bête, mais il manque ce petit quelque chose susceptible de rendre l'atmosphère anxiogène. Les incohérences et facilités scénaristiques se succèdent pour permettre au réalisateur de jouer encore avec nos nerfs et d'aller au bout de son idée. Le final me laisse perplexe, tout en étant une réussite. Il est cohérent avec le propos de l'histoire et participe à cette impossibilité d'apprécier pleinement une oeuvre intelligente et pleine de contradictions narratives.


C'est la déception qui prime, mais avec aussi le sentiment d'avoir vu une oeuvre susceptible d'être réévaluer avec le temps. L'envie de lire le roman de Yutaka Maekawa, dont le film est une adaptation, se fait fortement ressentir avec le secret espoir de mieux cerner les thèmes et d'être plus séduit que par le film. Nishino est un monstre mémorable grâce à son interprète Teruyuki Kagawa, on est pas près d'oublier l'intensité de son regard malveillant.

easy2fly
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le 17 juin 2017

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Laurent Doe

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