Cure est une œuvre opaque, au pessimisme ténébreux, foudroyante de beauté et de singularité, un triller faisant flirter une réalité sociale mutique avec un genre fantastique épuré et oppressant. Il est difficile de découvrir tous les mystères qui se dégagent de Cure, film passionnant de par sa faculté à hypnotiser avec sa mise en scène glaciale et ses personnages au charisme sombre. Au départ, se construit sous nos yeux un long métrage policier qui petit à petit va s’évaporer pour aller dans des contrées plus abstraites que rationnelles, se détachant d’un environnement social réaliste pour se diriger vers quelque chose de plus sibyllin, anesthésiant, se rapprochant des tracas d’un humanisme ébranlé. Cure est un film lent, anxieux, inquiétant, qui happe pour nous plonger dans le puits sans fond d’un marasme maladif. Des meurtres se succèdent. Différents criminels, pour une même méthodologie.

La victime est tuée puis scarifiée d’une croix sur le coup, comme symbole d’une libéralisation de son âme. A chaque fois, la police retrouve le meurtrier apeuré sur les lieux du crime n’essayant même pas de se cacher, ne se souvenant presque plus du pourquoi et du comment de ses agissements. Aux premiers abords, il n’y a pas de lien entres les victimes elles-mêmes, ni avec les meurtriers eux-mêmes. Sauf que. Il suffit d’un rien, d’un briquet pour déverrouiller les portes de l’inconscient, de voir s’enflammer cette envie de se dégager de cette oppression environnementale. L’inspecteur Tabaké, qui connait des problèmes personnels avec la maladie de sa femme, travaille sur cette enquête, il cherche des pistes, ne croit pas à la simple coïncidence du même mode opératoire, réfléchit à la véritable responsabilité de ces criminels.L’inspecteur Tabaké croisera alors la route de Mamiya, jeune homme amnésique, qui aurait un lien avec cette succession d’assassinat.

Ce dernier ne tue pas, hypnose les esprits, fait passer son message morbide et fait alors resurgir la part d’ombre de chaque être humain, mettant un visage sur les maux fatalistes de cette société où chacun peut être touché. Ce personnage est vide de substance, sans passé sans futur, sans volonté ni identité. Dès les premiers plans, avec ce sens du cadre prodigieux, une utilisation parfaite de l’espace et de la bande sonore, Kurosawa impose un style graphique fascinant comme durant cette séquence où sur une plage, un homme est accosté par ce fameux jeune vagabond et hypnotiseur à l’origine de ce chaos sanglant. Il semble ne plus savoir qui il est et où il est. C’est la première fois qu’on l’aperçoit dans le film, scène magistrale sorte de plan séquence menaçant au souffle sonore tétanisant. Mamiya est comme un fantôme, erre comme un spectre néfaste faisant apparaitre la nature profonde et naturelle de l’Homme. Ce qu’il tentera de faire avec l’inspecteur Tabaké (sublime scène de rêve de pendaison). Le face à face deviendra alors mental.

Le génie de Cure se trouve dans cet aspect humain, où Kurosawa s’interroge sur la fascination humaine pour le Mal, le démon qui sommeille en chacun de nous. Cure n’est pas un film de sérial killer comme les autres. Cure est fascinant, son réalisateur épure au maximum, minimalise ses effets dans tous les compartiments de son œuvre. Cure est presque hors du temps, envoutant le spectateur comme Mamiya hypnotise ses victimes qui deviennent elles-mêmes des coupables. Un peu à l’instar de la série Paranoia Agent de Satoshi Kon, Cure presse la gâchette sur une société nippone où un dénominateur commun, déclencheur des affres de tout un chacun, ouvre les vannes de la torpeur d’individus à la stabilité plus qu’approximative. Cure, se finit alors dans une perfection trouble grisante, dans une expectative nihiliste indicible.
Velvetman
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le 28 mai 2014

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