Dès son générique, Dans la vallée d’Elah s'affiche comme un film anti-guerre, avec un trio d'acteurs qui compte parmi les plus politisés d'Hollywood : l'infatigable Susan Sarandon, connue pour ses prises de position virulentes contre la guerre en Irak, Tommy Lee Jones, fervent démocrate et Charlize Theron, qui prend régulièrement la parole en faveur de diverses causes.
Le film trouve sa force - autant que ses limites - dans un scénario très bien construit, sensible, dont la portée critique dépasse le conflit irakien pour mettre en cause d'une manière plus générale l'idéologie militariste et le patriotisme aveugle.
Hormis quelques images filmées avec un téléphone portable, Dans la vallée d'Elah se passe entièrement sur le sol américain. Il suit l'enquête de Hank, un officier à la retraite (Tommy Lee Jones) désireux de retrouver son fils, un vétéran d'Irak signalé comme déserteur peu de temps après son retour au pays.
Hank rencontre les camarades de son rejeton, glane quelques indices et apprend rapidement que celui dont il est à la recherche est mort dans des conditions atroces : poignardé, découpé en morceaux, brûlé et dévoré par des charognards... La violence du choc renforce sa détermination, et il s'impose alors comme "partenaire officieux" de la femme flic (Charlize Theron) chargée de l'affaire.
L'enquête patine d'abord, s'égare dans de fausses pistes, puis se resserre sur le cœur de l'armée. Invariablement, chacune de ses avancées s'impose à Hank comme un coup de lame supplémentaire dans une plaie béante.
Il doit bientôt admettre que son fils était loin du bon garçon qu'il croyait avoir élevé. Plus douloureusement encore, ses recherches lui révèlent comment les conditions de la guerre en Irak ont poussé les soldats à franchir les limites de la dignité humaine, et comment leur perdition morale contamine aujourd'hui la conscience de l'Amérique.
Là se trouve le nœud de l'enquête, mais aussi la tragédie de Hank, à laquelle l'interprétation tout en douleur contenue de Tommy Lee Jones apporte une dimension poignante. Le solide alliage de patriotisme, de dignité et de virilité sur lequel cet homme a bâti sa vie va se dissoudre. Un gouffre de culpabilité va s'ouvrir en lui. Car c'est à cause de ce système de valeurs qu'il portait si haut, que ses deux fils ont choisi de suivre leur père et qu'ils ont tous les deux perdu la vie.
Implacable, le scénario confère au métrage une certaine froideur clinique, qui est le propre des films à thèse mais se distingue par l'intelligence avec laquelle s'y imbriquent la tragédie individuelle et l’Histoire. Haggis pointe la contradiction entre le code de l'honneur de l'armée et la manière dont celle-ci a encouragé la torture et met à mal toutes les valeurs de l'Amérique conquérante, montre qu'elles vont de pair avec des fléaux comme la misogynie ou le racisme.
Forcé de renoncer à ses mythes, le vieil officier va apprendre qu'une serveuse de bar topless peut être une femme aimable et respectable, qu'un voyou latino peut receler plus d'humanité qu'un jeune Blanc aux cheveux courts.
Autrement dit que la racine du mal n'est pas chez l'autre, en Irak ou chez les trafiquants de drogue, mais bien à domicile. Et qu'elle contamine de l'intérieur l'Amérique bien-pensante.