Avez-vous déjà entendu parler du téflon ? Marque déposée en 1945 et symbole du savoir-faire industriel américain, on retrouve ce revêtement (appelé scientifiquement polymère thermoplastique) sur différents ustensiles de cuisine, en particulier sur les poêles et les casseroles. Soumis à une certaine chaleur, le téflon dégage des fumées toxiques. Ces dernières contiennent du PFOA, une substance hautement toxique et responsable de nombreuses maladies chez l’homme, substance qu’il à pourtant lui-même créée. Longtemps dissimulé par les entreprises (qui l’ont elles-mêmes caché au yeux des agences de santé pendant des décennies), l’impact de cet acte irrationnel est aujourd’hui dévastateur. Et le constat aurait pu être bien plus alarmant si un homme, Rob Billot, n’avait pas consacré sa vie à ce combat. Pour reprendre la formule de Mark Twain (en la modifiant), il savait que c’était impossible, alors il l’a fait. Hommage à la lutte sans merci de cet avocat téméraire, qui apparaît d’ailleurs en personne dans cette œuvre qui lui est consacrée.


Qui mieux que Mark Ruffalo pour incarner cet audacieux combattant? L’acteur signe tout simplement la meilleure prestation de sa carrière, dans ce film qu’il a lui-même produit. On connaît son engagement écologique, et l’investissement qu’il met dans ce rôle est tout bonnement impressionnant. Vieilli, usé par les failles d’un système judiciaire à deux vitesses, l’acteur sublime ce thriller écologique. À la réalisation de Dark Waters, Todd Haynes, nous propose un spectacle visuel glaçant, orchestré par une bande originale oppressante (par Marcelo Zarvos) et une photographie d’une grande noirceur. Une nouvelle démonstration de l’un des réalisateurs majeurs du cinéma contemporain, qui continue de s’illustrer par sa justesse. S'Il emprunte à ses confrères (à l’image de cette scène des clés de voiture qui rappelle le Casino (1995) de Scorsese), l’Américain à réussi à imposer sa patte, pour le plus grand bonheur de ses aficionados. Après Loin du paradis (2002) ou Carol (2015), le réalisateur mérite vraiment que l’on s’intéresse de plus prêt à son travail d'orfèvre, qui mérite bien plus de reconnaissance.


Dark Waters condamne l'inefficacité du droit quand ce dernier est mis en concurrence avec le capitalisme. Il ne tombe pour autant jamais dans l’abhorantisme, ce qui le rend agréable. En se concentrant directement sur les conséquences de cette injustice sur le prolétariat américain, le long-métrage nous prend aux tripes. Sa capacité à vulgariser son propos scientifique le rend fascinant. À l’image d’un fermier malade et désabusé, atteint économiquement par l’hécatombe qui touche ses vaches, Todd Haynes s’intéresse à la condition des classes populaires. Il la met d’ailleurs en confrontation avec celle de la haute société, qu’il représente par un patron méprisant incarné par Victor Garber (le mémorable Mr. Andrews dans Titanic (1997), ici dans un rôle bien moins attachant), qui n’hésitera pas à utiliser sa puissance financière pour corrompre la justice. Les superbes seconds rôles que sont Tim Robbins et Anne Hathaway apportent beaucoup de matière à ce film. L’un est dans la peau d’un dirigeant frileux bien qu’assez humain, l’autre dans le rôle d’une mère au foyer qui se meut en soutien infaillible envers son mari. Magnifique prestation de l’actrice, tant par l'équilibre qu’elle apporte au scénario que grâce aux questions que son personnage soulève, sur la place du sacrifice de la vie de famille notamment.


La chronologie de Dark Waters contribue à sa qualité : le film fait des bonds dans le passé à travers des images d’archives, tout en mettant en scène les vrais victimes de cette crise dans le présent. Au-delà de sa qualité cinématographique, la quantité d’informations délivrée dans cette œuvre est impressionnante et le rend nécessaire à visionner.


Dark Waters est l’un des films marquants de la dernière décennie, une référence quant au sujet des lanceurs d’alertes. Il a le mérite de porter à la lumière le scandale ayant entraîné la plus grande étude épidémiologique de l’histoire, et ne tombe jamais dans le moralisme insupportable que l’on retrouve parfois dans ce genre d'œuvres.


L’un de mes films préférés, tout simplement.

Baptiste-Gouin
9
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le 20 août 2021

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Baptiste Gouin

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