Dealer
6.3
Dealer

Film DTV (direct-to-video) de Jean Luc Herbulot (2015)

On peut faire comme Kassovitz et « enculer le cinéma français » en s’indignant contre les productions stéréotypées de l’Hexagone. Presque à raison. Mais s’arrêter à ce constat serait faire preuve d’une sacrée mauvaise foi, et d’un manque débilitant de curiosité. Dealer est la preuve que, même sans moyens, même handicapé par la frilosité des distributeurs, l’espoir persiste.


Jean-Luc Herbulot n’est pas à proprement parler un nom ronflant du cinéma français. Œuvrant jusque là dans l’ombre, il réalise avec presque rien (à peine 160 000 euros) ce Dealer, thriller bourré d’adrénaline plongeant au cœur des ruelles sombres parisiennes, des appartements où la drogue passe et les faibles trépassent. Mais ne résoudre Dealer qu’à son réalisateur tiendrait de la désinformation. Acteur principal et producteur du film, Dan Bronchinson accroche son prénom et son histoire personnelle au long-métrage. Plus qu’un rôle de composition, l’acteur se jauge dans un miroir déformant.



PUSHER, BETTER, DEALER, STRONGER



Certains titres suffisent à définir leur contenu. Dealer ne se compose que d’un mot. Vaste, et étroit à la fois. Un peu comme le futur de Dan. Lui, le petit revendeur de blanche et de brune ne jure que par la couleur de l’argent pour éviter celle des sentiments. Il veut se tailler, éventuellement, de ce monde pourri et d’aller le plus loin possible, là bas, en Australie, là où les chasses d’eau se vident à l’envers, histoire de se remettre la tête à l’endroit. Pour ça, il faut faire un dernier coup, jouer l’intermédiaire une dernière fois. Mais peut-on réellement s’arrêter au sommet lorsqu’on passe sa vie aux côtés des rats d’égout ?


La dernière passe qui dérape, voilà un thème étonnamment proche et lointain. Le secret, c’est que s’il est exploité, brassé et maîtrisé par le cinéma anglo-saxon, il est évité comme la peste par le cinéma français. Un cinéma qui ne conçoit le thriller que par la PJ, ou le meurtre par la tragédie. Dan, le dealer de rue poissard tiraillé par les requins du milieu, évoque le Frank de Pusher. Dealer y fait écho dans la violence sans concession qui y est présentée, dans la symbolique de la voiture aussi. Un espace clos qui devient gage à la fois de lien et de libération des bras tentaculaires du milieu, de toutes ces caïds et ces gros bras qui vous tendent la main pour mieux vous trancher le bras.


Si Pusher premier du nom se déroule en une semaine, Dealer reprend le format du chapitre final en se contentant de 24 heures. Un voyage de l’aurore à l’aube marqué par une réalisation nerveuse, énergique, mais aussi par un montage brouillon et un peu cheap. On autorise le joker « sortie de prison » du fait d’un budget ultra-serré, tout en observant aussi que Dealer n’est jamais aussi surprenant, dans le bon sens du terme, que lorsqu’il prend des risques ou des paris techniques. Encore un peu trop près par moments de la sacro-sainte propreté d’image à la française, Herbulot aurait pu poser une sacrée bombe en dégueulassant un peu plus ses couleurs et son grain. Heureusement, le propos suffit à sortir de son petit confort.



CAS SOCIAL ET ÉCHOS SOCIAUX



Dealer plonge la tête la première dans le grand bain et livre un rythme ultra-intense, aux scènes de torture et d’exécutions sans compromis. De toute cette violence intestinale, le spectateur hérite d’une gigantesque foire aux fluides. Ça gicle, régurgite et bulle à tout va, partout, tout le temps. L’intensité cumulée des séquences tendent autant à l’action et à l’ultra-adrénaline qu’au regret de ne pas avoir intégré de scènes plus posées, plus contemplatives. Quand le rythme de croisière est effréné, on finit par ne plus voir les obstacles, là ou la vitesse prime sur l’accélération. Les musiques, trop discrètes, auraient pu ainsi nous offrir quelques bribes de répit. Passons.


Une plongée en apnée où le spectateur, en même tant que Dan, ne fait que descendre. S’enfoncer dans d’inexorables ténèbres, voilà notre destin. Les lueurs d’espoir sont souvent en trompe-l’œil. Corrompues, dégradées, bafouées, salies, trompées, toutes les relations sont bonnes à crever. La prostituée avec qui il partage sa planque lui vole sa came, son associé le double dès qu’il en a l’opportunité. Trop discrètes, peut être parce que trop à cœur pour Dan, sa femme et sa filles se font bien trop désincarnées pour faire figure de lumières au milieu de l’obscurité.


Alors qu’il aurait parfaitement pu se dérouler en banlieue, où son propos aurait sûrement résonné à merveille, Jean-Luc Herbulot choisit les quartiers cosmopolites de Paris comme cadre d’action de Dealer. Un pari un peu surprenant, mais qui a le mérite de faire croiser contextes sociaux et communautaires, sans complaisance ni trait forcé. Un vrai soulagement de constater que, pour une fois, un thriller français évite l’écueil de l’action banlieusarde stéréotypée. Dealer ne sert ni aux Parisiens apeurés à conforter leur image de la petite frappe extra-périph’, ni aux banlieusards à fantasmer sur la vie rêvée de la dope. Un numéro d’équilibriste que Dealer peaufine à merveille.



« JE SUIS UNE PUTE, PAS UNE VOLEUSE »



Dealer ne se maquille pas, ne se voile pas non plus la face. Jean-Luc Herbulot et Dan Bronchinson réussissent avec très peu de moyens à créer un univers complet, complexe, ce dernier virevoltant énergiquement entre les eaux boueuses de chacun des marécages dans lesquels il met les pieds. Certes, avec un budget si restreint, tout n’est pas parfait et le montage n’est pas sans faille. Faut-il pour autant condamner Dealer parce-qu’il n’est pas aussi soigné que les polars anglo-saxons desquels il s’inspire ? Clairement, non, puisque la faute incombe en partie aux distributeurs et producteurs français, frileux et reniant le genre dans la liste noire des films trop « risqués » pour s’y engager.


Défendre Dealer, c’est aussi défendre une certaine idée du changement dans le cinéma français. Herbulot, quasi-inconnu en France, est déjà courtisé par le cinéma américain. Oui, la critique et les producteurs peuvent se plaindre de l’américanisation du Box-Office et du désintérêt d’un public pour son propre cinéma. Encore faudrait-il, pour ne pas tomber dans la langue de bois, donner leur chance à ceux qui s’efforcent de donner un coup de pied dans la fourmilière. Enfin, en l’occurrence, une chevrotine de fusil à pompe dans la cage aux chiens.


Hypesoul.com

Hype_Soul
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le 17 nov. 2015

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