Demolition, c’est en fait l’histoire d’une reconstruction. C’est le cours instant d’une vie, une illumination, durant laquelle Davis Mitchell (Jake Gyllenhaal) va détruire ce qui l’a toujours conduit à être quelqu’un d’autre… pour se (re)construire une vie libre.


Ou à tout le moins s’offrir la chance de l’entrevoir. Car l’excentricité de son geste est à la hauteur de l’immense fossé qui semble (toujours) l’avoir tenu à l’écart d’une humanité qui se trouve là, à portée de main. Suite au décès de sa femme, Davis entre dans une sorte de deuil particulier – ou choisit inconsciemment de retarder ce dernier – en démolissant littéralement le mur artificiel de la vie qu’il vient de perdre.


Le talentueux Jean-Marc Vallée nous revient avec ce qu’on a coutume d’appeler une comédie dramatique, qui n’en présente pourtant pas les caractéristiques. Après l’apparemment excellent Dallas Buyers Club (2013), l'homme nous offre un scénario généreux et sensible, loin des niaiseries de son récent et, je trouve, assez mauvais Wild (2014) ou des longueurs psychédéliques du pourtant assez bon Café de Flore (2011).


Si Caren Moreno (Naomi Watts) n’est ni convaincante, ni ne contribue au film de manière constructive, on l’excusera en raison de son rôle mineur. Watts intervient plutôt comme un personnage déclencheur, la gachette sur laquelle appuiera Davis Mitchell pour déclencher le feu de sa volontaire déliquescence. Jake Gyllenhaal est excellent mais on sent toutefois les efforts pour jouer un personnage qui sort de certains de ses récents rôles plus … figés (On pense à Zodiac, Prisoners, Source Code). C’est par certains aspects qu’on retrouve avec plaisir un Gyllenhaal tourmenté, instable, en proie aux avatars d’une introspection nécessaire le menant à un moment de vie critique : presqu’un Donnie Darko, en somme.


Le véritable tour de force du film réside bien entendu dans l’amitié qui s’institue entre Davis Mitchel et Chris (Judah Lewis), fils de Caren. Le garçon surprend par la simplicité et l’extravagance d’un adolescent rappelant sincèrement l’obsession qu’entretient Vallée à l’égard de Bowie (confirmée par le vinyle de Space Oddity dans la chambre de Chris). Indéniablement, sa personnalité androgyne et son impulsivité rappellent clairement les provocations ambiguës d’un Ziggy Stardust ou d’un Aladin Sane.


L’univers musical (Bowie dans Crazy, Pink Floyd dans Café de Flore ou José Garcia dans Wild) imprègne ici encore l’image et l’ambiance du film, mais de manière assez discrète. C’est Crazy on You de Heart qui rythme à bon escient certaines scènes de cette friandise de qualité que nous livre Jean-Marc Vallée.


Enfin, ajoutons qu’ici encore, la trisomie semble obséder (fasciner ?) Jean-Marc Vallée. Elle apparait brièvement (c’est un flash, une pulsion de vie), mais elle est bien présente et lourde de sens. Mais peut-être y voit-il simplement une autre fenêtre sur le réel. Comme un regard singulier du quotidien qui nous serait à la fois familier et étrangement lointain.


Finalement, ça fait du bien tout ça. C’est cathartique à souhait et donne à penser à ceux, dont je fais partie, qui vivent leur mélomanie comme un catalyseur de réflexion.


On peut dire que Demolition, c’est un oxymoron en soi. Un film qui illustre parfaitement l’homme. Violente compassion, sincère désaccord et frustration nécessaire nous apportent parfois bien plus qu’une lisse et politiquement correcte vision des choses...

Biohazardboy
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le 11 août 2016

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Biohazardboy

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