Est-ce que Jake Gyllenhaal - de loin l'un des meilleurs acteurs de sa génération - chercherait-il à démontrer à Hollywood la putain qu'il est un de ses talents les plus indispensables de ces dix dernières années ?
La question se pose bien là, tant le bonhomme semble choisir ses rôles avec minutie depuis le four monumental d'un Prince of Persia au potentiel énorme, mais violé dans les grandes largeurs par une major aux grandes oreilles (Disney quoi), n'ayant rien capter à la richesse du matériau vidéoludique original, si ce n'est le mot succès qui lui colle aux basques depuis son premier volume.


Dans tous les cas depuis cinq ans - on aurait presque même envie de dire depuis toujours -, le culte Donnie Darko fait mal à chacune de ses apparitions sur grand écran, que ce soit chez David Ayer (le nerveux End of Watch), chez Antoine Fuqua (La Rage au Ventre en attendant l'alléchant The Man Who Made It Snow), de jeunes cinéastes prometteur (Night Call signé par Dan Gilroy) ou chez son nouveau BFF Denis Villeneuve (les magistraux Prisoners et Enemy), démontrant une implication aussi bien physique que psychologique proprement fascinante.


Alors le voir s'attacher en tant que vedette, au nouveau drame du génial esthète Jean-Marc Vallée, Demolition, promesse d'un drame poignant sur la gestion du deuil, avait de quoi nous faire bander au plus haut point.
Surtout quand on sait que le Vallée s'est fait une spécialité depuis quelques années, de faire de chacune de ses vedettes un prétendant sérieux aux statuettes dorées (McConaughey et Leto pour Dallas Buyers Club, Witherspoon et Dern pour Wild).


Un wannabe prétendant à oscars en puissance pourtant soigneusement décalé de la course aux statuettes 2016, qui nous ferait presque croire à une conspiration anti-Gyllenhaal de la part de l'académie (et si c'était lui, le nouveau mec à défendre après quinze ans de combat pour Leo DiCaprio ?), tant le bonhomme, décidément prêt à relever tous les défis, illumine de tout son talent une œuvre totalement vouée à sa cause et qui lui doit énormément.


Amateurs de personnages en pleine crises existentielles (c'est en parti, la marque de fabrique de son cinéma), le metteur en scène canadien déroule sur un tout petit peu moins de deux heures l'évolution du deuil de Davis Mitchell, un voyage psychologique entre pétage de plomb mignon - pulsions destructrices à la masse en prime - et nouveau regard sur le monde, la vie et le douloureux passé.
Une métamorphose aussi passionnante que complexe qui à le bon gout d'user d'un traitement subtil de son émotion et de ne pas facilement se complaire dans un amas de clichés larmoyants façon mélodrame pour ménagères en détresses.


Époustouflant, Gyllenhaal est totalement habité en jeune loup de la finance ayant perdu le gout de vivre depuis la mort de sa femme (dans un accident de la route, duquel il sort indemne), et qui fout sa vie en l'air pour mieux exprimer son chagrin.
Tour à tour énervé et sensible, destructeur et paumé, il offre une composition tout en nuance et à fleur de peau, à laquelle Vallée - et même le spectateur - reste suspendu tout du long.


Intense et surprenant, pas exempt de quelques défauts (le traitement de la relation platonique entre Karen - Naomi Watts, parfaite - et Davis ne semble jamais vraiment légitimé sa présence; ou encore l'utilisation à outrance d'une voix-off poussive - tout comme pour Wild), mais porté par une mise en scène enlevée (caméra à l'épaule et saupoudrées de jolies idées scéniques) et une bande originale pop chère au cinéaste; Demolition est une belle tragédie humaine et intimiste sur la reconstruction d'une âme à travers sa démolition (d’où le titre), une expérience de cinéma sensorielle et (très) symbolique sur un parcours initiatique tortueux et passionnant.


Ambitieux sans pour autant paraitre totalement abouti comme ses précédents métrages, le Vallée cuvée 2016 n'en est pas moins un beau moment intelligent, sincère et déroutant (jusque dans son final), qui use parfaitement du pouvoir d'attraction/fascination énorme de sa vedette, décidément plus éblouissante que jamais dans des compositions over the top.


Jonathan Chevrier


http://fuckingcinephiles.blogspot.com/2016/03/critique-demolition.html

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le 31 mars 2016

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