Surtout – ne pas attendre une bonne grosse comédie à la française ; on est bien plus près de la Belgique, d’une poésie très décalée, parfois énorme (le quiproquo consécutif à une conversation téléphonique sur la sexualité « inappropriée » des ados), le plus souvent très subtile et déconcertante, un peu anarchisante et plus que personnelle, avec beaucoup de retenue aussi, à l’image du jeu adopté (et parfaitement adapté) par François Damiens.
Et les sujets abordés sont plutôt graves : la solitude, la folie, la dépression, l’éducation …


L’humour et la poésie résident précisément dans le décalage. Et le Martien de la planète, la Denrée du film, ce n’est sans doute pas Philippe Mars / François Damiens même s’il flotte dans l’espace à l’intérieur d’un gros scaphandre – mais plutôt son visiteur allumé, Vincent Macaigne / Jérome irrésistible en collègue de travail flottant lui entre dépression absolue et accès de violence paroxystiques, armé d’un hachoir à viande transporté dans un sac plastique (« pour faire croire qu’il vient juste d’être acheté ») et qui finira par enlever un fragment d’oreille au malheureux Philippe Mars ( « cela te fait ressembler à van Gogh », lui confiera sa sœur, artiste contemporaine approximative.)


Et plus vraisemblablement encore, c’est la planète elle-même, totalement déboussolée, angoissante aussi, entre violence constante de l’entreprise et incapacité absolue des dirigeants (tous enfermés à Bruxelles, d’un bout à l’autre du film, sans que cela aboutisse évidemment à quoi que ce soit), entre incivilité des voisins et incommunicabilité totale avec les proches, enfants en révolte ou noyés dans un excès de conformisme, épouse égoïste, parents en revenants (de quelle planète ?) ironiques et rapetissant à chacune de leur apparition surnaturelle, sœur très allumée – avec une représentation très singulière des parents très sexués …


Et la réalisation, très soignée, dit aussi ces décalages, dans ces scènes souvent nocturnes, sitôt qu’on sort de l’appartement ou de l’entreprise, où la nuit très épaisse ne se laisse transpercer que, par quelques taches lumineuses intenses – la plus belle image du film étant peut-être celle de l’immeuble très noir, dont la silhouette se découpe à peine dans la nuit ambiante, mais où subsiste l’éclairage d’une unique fenêtre …


On y ajoutera une « fiancée » quasi psychotique (Veerle Baetens), un ancien chauffeur de Giscard d’Estaing (pendant huit jours), des grenouilles de laboratoire, des poussins pondeurs condamnés à mort sitôt nés (avec une évocation pour le moins hardie d’un … Treblinka des poulets), un chien insupportable, des spécialistes assez inquiétants des explosifs, une adolescente nymphomane, un extrait des Marx Brothers (excellente scène), une moussaka végétarienne à gerber, une histoire de concombre et mille autres détails plus qu’insolites …


Dans ce monde en décomposition, Mars / Damiens, est l'archétype de l’homme honnête, à l’ancienne, foncièrement raisonnable – et d’autant plus perdu qu’il est incapable de dire non, de s’opposer aux demandes incessantes, absurdes, insupportables le plus souvent de son entourage et même au-delà.


Dans les faits, c’est cette accumulation de demandes, de services à rendre qui va donner au récit toute sa dynamique – avec l’invasion ininterrompue du petit appartement de divorcé solitaire (dans un contexte très différent on peut penser à Almodovar et à Femmes au bord de la crise de nerfs). On y verra successivement ses enfants en ados très pénibles, un collègue dépressif et psychotique, sa « compagne » tout aussi allumée, un chien insupportable, une pluie de grenouilles …


Face à cette invasion du monde, Mars finit par craquer – et sa révolte, très violente, avec la mise à sac de l’appartement et l’expulsion des intrus, apparaît comme un écho à celle de son collègue au hachoir lorsqu’il détruisait les locaux de son entreprise. Mais la révolte est de courte durée – et seul le chien en sera finalement la seule (et presque injuste) victime. Les intrus à peine partis, Mars se lancera presque immédiatement à leur poursuite …


Tout ça pour ça … ? Pas tout à fait, après la poursuite nocturne et automobile, après un dernier compte à rebours et un ultime passage des parents morts, à présent minuscules,après un feu d'artifice dantesque et purificateur digne de celui d'un Singe en hiver, Mars retrouvera en effet un essentiel – non pas dans le souhait vain d’un retour à un passé « civilisé », mais au contraire dans la transmission, le relais – dans la découverte de ses enfants, pour un vrai rapprochement, et peut-être avec un regard désormais confiant dans le monde à venir.

pphf
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le 12 mars 2016

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